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La fenaison "Toute la Flandre" - 1904-1911 Emile Verhaeren
Faux et râteaux ! Bidons au poing, paniers au dos, Un linge humide enveloppant la gourde, S’en vont, vers l’horizon, Les gens qui font leur fenaison, Malgré l’heure plombante et lourde.
Nul ne chante : l’air est brûlant. Les carrefours pierreux et blancs Tracent leur croix par l’étendue. Aucune ombre n’est suspendue, Nuage en marche, sur l’Escaut. Et les voiles d’un grand bateau, Par au-dessus des digues, qui le masquent, Apparaissent, vides et flasques.
Et dans le pré, sur double rang, les gars, Le corps virant de droite à gauche, Fauchent ; Fourches hautes, les femmes Remuent, ainsi que des drapeaux en flamme. Les foins épars.
C’est la fête de la sueur À la lueur Des serpes et des piques ; L’odeur humaine envahit l’air ; Les bras sont forts, les aciers clairs Et les gestes épiques.
De grands torses poilus et roux Se redressent dans la poussière : L’Escaut ondule en vagues de lumière, Les blés roulent, de l’un à l’autre bout, L’or des reflets et l’or des moires. À cruche pleine, on verse à boire. Les servantes vers le fleuve s’en vont Remplir, de temps en temps, les brocs et les bidons Et reviennent, rapides, Moites des flancs, moites des seins, Et maculant le drap de leurs corsages pleins Du bout de leurs tétons humides.
Sonnent les cloches : c’est midi. Les corps s’allongent pour la sieste ; Mais aussitôt que les heures prestes Réveillent, tout à coup, le travail engourdi, L’ahan reprend. Et c’est jusques au soir les mêmes gestes, La même ardeur, le même acharnement, debout Dans la torride violence, Du silence qui bout.
Crue et rêche, l’herbe est rasée. On suit, à fleur de sol, les empreintes laissées Du vol circulaire des faux. Les foins, de jour en jour, tassent leurs monts plus haut. Et pour les emporter voici les attelages Si lourds et si compacts et si monumentaux, Qu’à leur rentrée on croira voir, le soir, par les hameaux, Des granges pleines qui voyagent.
Et lorsque le dernier charroi Entre les toits balancera le poids De sa charge dernière, La fille la plus forte et le plus fier des gars Se camperont en haut du tas, Les corps noyés dans l’or et la poussière, La crasse et la sueur plaquant leur peau, Et brandissant, ainsi que des hérauts, Au-dessus de leurs fronts durs et têtus, la faux Toute stridente de lumière.
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