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A Monsieur Alphonse de Lamartine "Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme" - 1863 Charles Augustin Sainte-Beuve
Ô toi qui sais ce que la terre Enferme de triste aux humains, Qui sais la vie et sou mystère, Et qui fréquentes, solitaire, La nuit, d’invisibles chemins ;
Toi qui sais l’âme et ses orages, Comme un nocher son élément, Comme un oiseau sait les présages, Comme un pasteur des premiers âges Savait d’abord le firmament ;
Qui sais le bruit du lac où tombe Une feuille échappée au bois, Les bruits d’abeille et de colombe, Et l’Océati avec sa trombe, Et le Ciel aux immenses voix ;
Qui dans les sphères inconnues Ou sous les feuillages mouillés, Ou par les montagnes chenues, Ou dans l’azur flottant des nues, Ou par les gazons émaillés,
Pèlerin à travers les mondes, Messager que Dieu nous donna,
Entends l’alcyon sur les ondes, Ou les soupirs des vierges blondes, Ou l’astre qui chante : Hosanna !
Sais-tu qu’il est dans la vallée, Bien bas à terre, un cœur souffrant, Une pauvre âme en pleurs, voilée, Que ta venue a consolée Et qui sans parler te comprend ?
J’aime tes chants, harpe éternelle ! Astre divin, cher au malheur, J’aime ta lueur fraternelle ! As-tu vu l’ombre de ton aile, Beau cygne, caresser la fleur ?
Est-ce assez pour moi que mon âme Frémisse à ton chant inouï ; Qu’écoutant tes soupirs de flamme, Comme à l’ami qui la réclame, Dans l’ombre elle réponde : Oui ;
Qu’aux voix qu’un vent du soir apporte Elle mêle ton nom tout bas, Et ranime son aile morte À tes rayons si doux…, qu’importe, Hélas ! si tu ne le sais pas ?
Si dans ta sublime carrière Tu n’es pour elle qu’un soleil Versant au hasard sa lumière, Comme un vainqueur fait la poussière Aux axes de son char vermeil ;
Non pas un astre de présage Luisant sur un ciel obscurci, Un pilote au bout du voyage Éclairant exprès le rivage, Un frère, un ange, une âme aussi !
Mais que tu saches qu’à toute heure Je suis là, priant, éploré ; Mais qu’un rayon plus doux m’effleure Et plus longtemps sur moi demeure, Je suis heureux… et j’attendrai.
J’attendrai comme un de ces Anges Aux filles des hommes liés Jadis par des amours étranges, Et pour ces profanes mélanges De Dieu quelque temps oubliés.
En vain leurs mortelles compagnes Les comblaient de baisers de miel ; Ils erraient seuls par les campagnes. Et montaient, de nuit, les montagnes, Pour revoir de plus près le Ciel ;
Et si, plus prompt que la tempête, Un Ange pur, au rameau d’or, Vers un monde ou vers un prophète Volait, rasant du pied la tête Ou de l’Horeb ou du Thabor,
Au noble exilé de sa race Il lançait vite un mot d’adieu, Et, tout suivant des yeux sa trace, L’autre espérait qu’un mot de grâce Irait jusqu’au trône de Dieu.
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