Les exodes - Emile Verhaeren
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Les exodes - Emile Verhaeren
HISTOIRE ET POLITIQUE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE |
Les exodes "Les Ailes rouges de la guerre" - 1916 Emile Verhaeren Les pas qui s’en allaient jadis Et du champ à la grange et de l’étable au puits, Les pas qui s’en allaient par la sente sauvage, Le dimanche matin, à la messe, au village, Fuient aujourd’hui De route en route, à l’infini. Une à une, les fermes brûlent Sur les plaines, au crépuscule ; On croirait voir, là-bas, de larges fumiers noirs Qui fument dans le soir, Avec un brusque éclat de feu tout à coup rouge. La flamme passe et court des fermes jusqu’aux bouges Et mord déjà l’église et le vitrail ardent Où Jésus accueillait, dites, depuis quels temps L’hommage Des jaunes chameliers et des pourpres rois mages. De toutes parts Les gens partent vers les hasards : Il en est qui s’en vont poussant sur leur charrette Le lit, le matelas, le banc, la chaufferette, Et la cage déserte où mourut le pinson ; D’autres chargent leur dos de vieilles salaisons Qu’un voile épais et gris défend contre les mouches. J’en ai vu qui tenaient une fleur à la bouche Et qui pleuraient, sans rien se dire, atrocement. Des vieux passent, serrant leur deuil et leur tourment, Et les mères sont là, pauvres, mornes, livides, Laissant mordre l’enfant à leur poitrine vide. D’abord c’est derrière eux, Que la flamme grandit et saute et tangue et houle : Son oblique lueur atteint et suit la foule Qu’on croit voir osciller et marcher dans du feu ; Les crêtes des pignons croulent dans les fumées, Les meules aux flancs d’or sont partout allumées, Le bois flambe à l’orée et crépite et se tord Et le proche horizon est ligné d’arbres morts. Les gens qui vont et fuient Poussent devant leurs pas et leur porc et leur truie, Et leur chèvre et leur vache au corps lourd et ballant ; Parfois les suit encore un long troupeau bêlant Dont la plainte s’enfonce immensément dans l’ombre. Des chevaux harassés traînent des chars sans nombre Et les bêtes et les hommes ainsi s’en vont Vers l’affreuse détresse et le malheur profond, Se rapprochant et se parlant comme naguère, Avec des mots qu’entend la terre Depuis toujours. Et tout à coup, voici les tours, Les grandes tours qui s’éclairent de bourgs en bourgs Et qui tendent jusqu’à la mer la tragédie Haletante de l’incendie. La plaine et la forêt s’illuminent au loin. Mares, fleuves, étangs et lacs sont les témoins De la terreur qui dans les eaux se réverbère ; Les étoiles là-haut regardent sur la terre De rougeoyants brasiers écheveler la nuit. Tout est silence ou tout est bruit, Tout est surprise et peur ; tout se plaint et frissonne ; Et dans les clochers noirs les derniers tocsins sonnent. Et les foules s’en vont toujours Et las de leur cœur triste et las de leurs pas lourds, N’ayant plus sous le front que la seule pensée D’avancer tout au long des routes défoncées Par le passage brusque et volant des canons. Une ville parfois et ses larges maisons Et ses gares de fer accueillent leurs détresses ; En des fourgons partants quelques femmes se pressent, Tandis qu’avec leurs fils, d’autres, obstinément, — Dites vers quelle horreur, ou vers quel dénuement ? — Continuent à marcher, tragiques et muettes. Le feu bondit et rebondit partout : Ses flammes violettes Devancent, à cette heure ardente, les remous De ces foules qui vont et vont, Dieu sait vers où. Car cette fois, c’est devant eux, que l’incendie Propage et sa terreur et sa rage brandies ; Le ciel est angoissé par l’immense lueur Qui monte et perce et fouille et mord ses profondeurs. Soudain le brusque autan s’étend de plaine en plaine, Il ronfle et siffle et crie et part sans perdre haleine Rallumer sous leur cendre et la flamme et le feu. Le pays tout entier s’épouvante de Dieu Si bien que tous croient voir planer dans l’étendue Comme une fin de monde aux grands vents suspendue. Et las de leur cœur triste et las de leurs pas lourds, Longues et fatales comme des houles Les foules Passent toujours. Emile Verhaeren évoque dans ce texte l’exode de la population belge à la suite de l’invasion de l’armée allemande fin août 1914. Il faut rappeler que cette invasion fut un choc terrible pour Verhaeren comme pour la grande majorité des Belges qui n’avait pas envisagé cette violation de leurs territoires puisque la Belgique affichait un statut de neutralité vis-à-vis de toute opération belliqueuse. 1 500 000 Belges vont quitter leur pays pendant le conflit, ce qui représente 1 Belge sur 5, ce qui est évidemment énorme. Autres textes du même auteur A la gloire du vent Aprement Asseyons nous tous deux près du chemin Au clos de notre amour, l'été se continue Au passant d'un soir Autour de ma maison Avec le même amour Avec mes vieilles mains Avec mon sens, avec mon coeur C'est la bonne heure C'était en juin, dans le jardin Chaque heure où je songe à ta bonté Cloches Cuisson du pain Décembre (Les hôtes) En hiver Et maintenant que sont tombés Et qu'importent et les pourquois et les raisons Et te donner ne suffit plus, tu te prodigues Heure d'automne L'abreuvoir L'âge est venu L'ancienne foi L'arbre L'aube, l'ombre, le soir, l'espace et les étoiles L'effort L'hospice La cathédrale de Reims La fenaison La ferme La fleur de lin La forêt La grille La joie La mort du fermier La neige La plaine La pluie La vie La ville nouvelle Là-bas Le chaland Le cri Le forgeron Le gel Le lierre Le moulin Le ruisseau Le vent Le voyage Les alouettes Les bagnes Les barques d'or d'un bel été Les cierges Les corneilles Les giboulées Les gueux Les horloges Les machines Les mendiants Les morts Les pêcheurs à cheval Les pigeons Les plages Les Zeppelins sur Paris Mariage Mourir Plus loin que les gares le soir Soldats morts à la guerre Sur la mer Tout ce qui vit autour de nous Un matin Un toit, là-bas Vanniers Vénus Vers la mer Vieille ferme à la Toussaint Voici quinze ans déjà Vous m'avez dit, tel soir |
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