La mort de Jaurès - Anna de Noailles
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La mort de Jaurès - Anna de Noailles
HISTOIRE ET POLITIQUE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE |
La mort de Jaurès "Les Forces éternelles" - 1920 Anna de Noailles I J’ai vu ce mort puissant le soir d’un jour d’été. Un lit, un corps sans souffle, une table à côté : La force qui dormait près de la pauvreté ! J’ai vu ce mort auguste et sa chambre économe, La chambre s’emplissait du silence de l’homme. L’atmosphère songeuse entourait de respect Ce dormeur grave en qui s’engloutissait la paix ; Il ne semblait pas mort, mais sa face paisible S’entretenait avec les choses invisibles. Le jour d’été venait contempler ce néant Comme l’immense azur recouvre l’océan. On restait, fasciné, près du lit mortuaire Écoutant cette voix effrayante se taire. L’on songeait à cette âme, à l’avenir, au sort. — Par l’étroit escalier de la maison modeste, Par les sombres détours de l’humble corridor, Tout ce qui fut l’esprit de cet homme qui dort, Le tonnerre des sons, le feu du cœur, les gestes, Se glissait doucement et rejoignait plus haut L’éther universel où l’Hymne a son tombeau. Et tandis qu’on restait à regarder cet être Comme on voit une ville en flamme disparaître. Tandis que l’air sensible où se taisait l’écho Baisait le pur visage aux paupières fermées, L’Histoire s’emparait, éplorée, alarmée, De ce héros tué en avant des armées… II L’aride pauvreté de l’âme est si profonde Qu’elle a peur de l’esprit qui espère et qui fonde. Elle craint celui-là qui, lucide et serein, Populaire et secret comme sont les apôtres, N’ayant plus pour désir que le bonheur des autres, Contemple l’horizon, prophétique marin, Voit la changeante nue où la brume se presse. Et, fixant l’ouragan de ses yeux de veilleur, Dit, raisonnable et doux : « Demain sera meilleur. » — Ô Bonté ! Se peut-il que vos grandes tendresses, Que vos grandes lueurs, vos révélations, Ce don fait aux humains et fait aux nations Inspirent la colère à des âmes confuses ? Faut-il que l’avenir soit la part qu’on refuse Et l’archange effrayant dont on craigne les pas ? — Grand esprit, abattu la veille des combats, C’est pour votre bonté qu’on ne vous aimait pas... III Vous étiez plus vivant que les vivants, votre air Était celui d’un fauve ayant pris pour désert La foule des humains, à qui, pâture auguste, Vous offriez l’espoir d’un monde éfral et juste. Vous ne distinguiez pas, tant vos feux étaients forts, L’incendie éperdu que préparait le sort. Vos chants retentissaient de paisibles victoires… — Alors, la Muse grave et sombre de l’Histoire, Ayant avec toi-même, ô tigre de la paix, Composé le festin sanglant dont se repaît L’invisible avenir que les destins élancent, Perça ta grande voix de sa secrète lance Et fit tonner le monde au son de ton silence… JAURES, VOIX ASSASSINEE DE LA PAIX Jean Jaurès consacre les dernières années de sa vie à la défense de la paix alors que la guerre menace et qu’un puissant courant nationaliste la réclame. Pendant la journée du 31 juillet 1914, le dernier jour de sa vie, il tente, d'abord à la Chambre des députés, puis au ministère des Affaires étrangères, d'empêcher le déclenchement des hostilités de la Première Guerre mondiale. En fin d'après-midi, il se rend à son journal, L'Humanité, pour rédiger un article. Avant la nuit de travail qui s'annonce, il descend avec ses collaborateurs pour dîner au Café du Croissant. Vers 21 h 40, un étudiant nationaliste, Raoul Villain, tire deux coups de feu par la fenêtre ouverte du café et abat Jaurès à bout portant. Cet assassinat anéantit la dernière voix de la paix, facilite le ralliement de la gauche, y compris de beaucoup de socialistes à l’Union sacrée, une union entièrement acquise à la guerre. Le 29 mars 1919, le meurtrier de Jaurès est acquitté, et la veuve de Jaurès est condamnée à ses dépens au paiement des frais du procès. Autres textes du même auteur Annecy Après l'ondée Automne, ton soleil Bayonne Ce ne sont pas les mots Chaleur Comme le temps est court Constantinople Eloge de la rose Entre les tombeaux et les astres Exaltation Eveil d'une journée Il fera longtemps clair ce soir Il pleut. Le ciel est noir J'écris pour que le jour où je ne serai plus J'espère de mourir Je croyais être Je veux bien respirer… Jeunesse Joviale odeur de la neige L'abondance L'ardeur L'automne L'enchantement de la Sicile L'enfance L'hiver L'Ile des folles à Venise L'innocence L'inquiet désir L'Inspiration L'offrande à la nature La cité natale La jeunesse La journée heureuse La mort dit à l'homme La mort fervente La musique de Chopin La naissance du jour La vie profonde Le baiser Le cri des hirondelles Le jardin et la maison Le pays Le plaisir des oiseaux Le port de Palerme Le soldat Le souvenir des morts Le temps de vivre Le verger Le voyage Le voyage sentimental Les biches Les bords de la Marne Les îles bienheureuses Les journées romaines Les morts Les morts pour la Patrie Les nuits d'été Les plaisirs des jardins Les poètes romantiques Les voyages Matin frémissant Mon âme de peine et de joie Novembre O lumineux matin Ô Mort, vous rendez tout… Paysage du Hainaut Prière au destin Prière du combattant Qu'ai-je à faire de vous ? S'il est quelque autre chose au monde Stances à Victor Hugo Trains en été Tristesse de l'amour Un automne à Venise Un jardin au printemps Un soir à Vérone Un soir en Flandre Verdun Versailles Visite à la cathédrale de Reims |
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