Sur la naissance du Comte de Paris - Alfred de Musset
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Sur la naissance du Comte de Paris - Alfred de Musset
HISTOIRE ET POLITIQUE LA MONARCHIE DE JUILLET |
Sur la naissance du Comte de Paris "Poésies nouvelles" - 1840 Alfred de Musset Philippe d'Orléans, Comte de Paris (1838-1894) De tant de jours de deuil, de crainte et d’espérance, De tant d’efforts perdus, de tant de maux soufferts, En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France, Et de tes vieux enfants l’éternelle inconstance Laissera-t-elle un jour le calme à l’univers ? Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire ? Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas ? Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire, Et, sinon par pitié pour ta propre mémoire, Par fatigue du moins t’arrêteras-tu pas ? Ne te souvient-il plus de ces temps d’épouvante Où de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin ? N’était-ce pas hier, et la source sanglante Où Paris baptisa sa liberté naissante, La sens-tu pas encor qui coule de ton sein ? A-t-il rassasié ta fierté vagabonde, A-t-il pour les combats assouvi ton penchant, Cet homme audacieux qui traversa le monde, Pareil au laboureur qui traverse son champ, Armé du soc de fer qui déchire et féconde ? S’il te fallait alors des spectacles guerriers, Est-ce assez d’avoir vu l’Europe dévastée, De Memphis à Moscou la terre disputée, Et l’étranger deux fois assis à nos foyers, Secouant de ses pieds la neige ensanglantée ? S’il te faut aujourd’hui des éléments nouveaux, En est-ce assez pour toi d’avoir mis en lambeaux Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie, Religion, amour, liberté, tyrannie, D’avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux ? En est-ce assez pour toi des vaines théories, Sophismes monstrueux dont on nous a bercés, Spectres républicains sortis des temps passés, Abus de tous les droits, honteuses rêveries D’assassins en délire ou d’enfants insensés ? En est-ce assez pour toi d’avoir, en cinquante ans, Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte, Charles Dix pour l’exil partir en cheveux blancs, D’avoir imité Londre, Athènes, Rome et Sparte, Et d’être enfin Français n’est-il pas bientôt temps ? Si ce n’est pas assez, prends ton glaive et ta lance, Réveille tes soldats, dresse tes échafauds ; En guerre ! et que demain le siècle recommence, Afin qu’un jour du moins le meurtre et la licence, Repus de notre sang, nous laissent le repos ! Mais, si Dieu n’a pas fait la souffrance inutile. Si des maux d’ici-bas quelque bien peut venir, Si l’orage apaisé rend le ciel plus tranquille, S’il est vrai qu’en tombant sur un terrain fertile Les larmes du passé fécondent l’avenir ; Sache donc profiter de ton expérience, Toi qu’une jeune reine, en ses touchants adieux, Appelait autrefois plaisant pays de France ! Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux, Ose donc franchement bénir la Providence ! Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s’abat, Que la paix t’affaiblit, que tes forces s’épuisent : Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent, Ils te savent debout, ferme, et prête au combat, Et, ne pouvant briser la force, ils la divisent. Laisse-les s’agiter, ces gens à passion, De nos vieux harangueurs modernes parodies ; Laisse-les étaler leurs froides comédies, Et, les deux bras croisés, te prêcher l’action ; Leur seule vérité, c’est leur ambition. Que t’importent des mots, des phrases ajustées ? As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin ? Es-tu libre ? Les lois sont-elles respectées ? Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin ? Le maître a-t-il son toit, et l’ouvrier son pain ? Si nous avons cela, le reste est peu de chose. Il en faut plus pourtant ; à travers nos remparts, De l’univers jaloux pénètrent les regards. Paris remplit le monde, et, lorsqu’il se repose, Pour que sa gloire veille il a besoin des arts. Où les vit-on fleurir mieux qu’au siècle où nous sommes ? Quand vit-on au travail plus de mains s’exercer ? Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser ? On veut nier en vain les choses et les hommes ; Nous aurons à nos fils une page à laisser. Le bruit de nos canons retentit aujourd’hui, Que l’Europe l’écoute, elle doit le connaître ! France, au milieu de nous un enfant vient de naître, Et, si ma faible voix se fait entendre ici, C’est devant son berceau que je te parle ainsi. Son courageux aïeul est ce roi populaire Qu’on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère, En pilote hardi nous montrer le chemin. Son père est près du trône, une épée à la main ; Tous les infortunés savent quelle est sa mère. Ce n’est qu’un fils de plus que le ciel t’a donné, France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie ; Soulève doucement ta mamelle meurtrie, Et verse en souriant, vieille mère patrie, Une goutte de lait à l’enfant nouveau-né. LE COMTE DE PARIS PHILIPPE D'ORLEANS Le nouveau-né évoqué par Alfred de Musset et qui prend le titre de Comte de Paris est Philippe d’Orléans né le 24 août 1838, fils de Louis-Philippe d’Orléans et petit-fils du roi Louis-Philippe qui règne de 1830 à 1848. Philippe d’Orléans, Comte de Paris, sera prétendant au trône de France après la mort accidentelle de son père Louis-Philippe d’Orléans le 13 juillet 1842, évoquée par Alfred de Musset dans son texte intitulé "le treize juillet." Autres textes du même auteur A la Malibran A Monsieur Victor Hugo A Ninon Adieu Après une lecture Au roi, après l'attentat de Meunier Conseils à une Parisienne Fut-il jamais douceur de coeur pareille Impromptu Jamais Le treize juillet Lucie Non, quand bien même une amère souffrance Pâle étoile du soir Se voir le plus possible et s'aimer seulement Sonnet au lecteur Souvenir Sur trois marches de marbre rose Sur une morte Tristesse Une bonne fortune Une promenade au Jardin des plantes Une soirée perdue Venise |
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