Le cimetière - Georges Rodenbach
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Le cimetière - Georges Rodenbach
LA MORT ET LE DEUIL |
Le cimetière "Le Foyer et les Champs" - 1877 Georges Rodenbach Tandis que les vivants poursuivent leur folie, Quittant le tourbillon, moi, rêveur isolé, Je vais méditer seul près des morts qu’on oublie, Et promener mes pas dans l’enclos désolé. Adèle et Louisa, mes sœurs, blanches colombes Que la mort abattit dans son vol triomphant, Courbant mon front pensif sur les croix de vos tombes J’y mets avec des fleurs un rayon réchauffant. Hier j’ai visité vos deux petites pierres Qu’ombragent des sapins par le vent agacés : C’est triste !… on sent des pleurs venir dans ses paupières, En lisant vos deux noms déjà presque effacés !… À côté dort aussi notre pauvre grand’mère Qui semble dans la mort vouloir veiller sur vous. La solitude ainsi vous sera moins amère Et vous aurez moins peur, tout près de ses genoux. Qu’il fait lugubre là ! quel calme et quel silence ! Le soleil disparaît dans les cieux obscurcis ; On n’entend que le bruit du saule qui balance Ses longs cheveux épars sur les sentiers noircis… Aux rameaux des cyprès quelques gouttes de pluie Brillent, comme des pleurs, aux rayons du couchant ; Et la brise du soir, aux tombeaux qu’elle essuye Chante avec des sanglots un doux et triste chant. Le fossoyeur errant parmi les tombes blanches Va creuser pour demain des fosses dans un coin ; Tandis que son enfant qui fouille dans les branches Cueille de pâles fleurs qu’il arrange avec soin. Voilà tout ce qui reste !… ombres abandonnées ! Une croix chancelante, un tertre de gazon… Vous souvient-il encor de vos jeunes années, Quand nous jouions gaîment à trois dans la maison ?… Pauvres sœurs ! s’en aller au printemps, c’est austère ! Pourquoi Dieu vous prit-il ? Ah ! c’est un Dieu jaloux ! Mais non ! Dieu ne doit pas m’expliquer le mystère Des blancs agneaux qui sont dévorés par les loups !… S’il vous a fait mourir, c’est un bienfait peut-être. Qui sait !… il vous cachait les douleurs d’ici-bas ; Il vous donnait la paix dans cet abri champêtre, Il couronnait vos fronts dès les premiers combats !… Ainsi vos pieds n’ont point marché dans nos ruines, Vos yeux n’ont point senti l’amertume des pleurs, Et comme Ophélia, sans savoir les épines Vous nous avez quittés les mains pleines de fleurs ?… Mais votre souvenir vit toujours dans notre âme De notre foi douteuse attisant les flambeaux, Car si parfois nos cœurs à l’autel sont sans flamme, Ils fondent en prière au bord de vos tombeaux ! Autres textes du même auteur Amour vrai Amours inquiètes Au restaurant Aux mères qui battent leurs enfants Chanteuse d'oubli Charme du passé Collège ancien Fête de village L'eau qui parle L'horloge L'oubli La conscription La maison paternelle La Mer du Nord La mort de la jeunesse La nuit vient La passante La pluie Le coffret Les cailloux de Mousny Les cloches Les dimanches : tant de tristesse et tant de cloches Les enfants Les jardins Les jeunes filles Les lions Mysticisme Pour la gloire de Mallarmé Pour le tombeau de Verlaine Premier amour Premiers beaux vers Premières communiantes Ô neige, toi la belle endormeuse des bruits Processions Ses yeux Souvenirs d'enfance Tel soir fané, telle heure éphémère suscite |
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