Gil Def Mar 13 Avr - 10:00
LES PHARES ET LES PASSERELLES HOMMAGE AUX POETES
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A Albert Samain "Le Deuil des primevères" - 1901 Francis Jammes
Mon cher Samain, c’est à toi que j’écris encore. C’est la première fois que j’envoie à la mort ces lignes que t’apportera, demain, au ciel, quelque vieux serviteur d’un hameau éternel, Souris-moi pour que je ne pleure pas. Dis-moi : « Je ne suis pas si malade que tu le crois. » Ouvre ma porte encore, ami. Passe mon seuil et dis-moi en entrant : « Pourquoi es-tu en deuil ? » Viens encore. C’est Orthez où tu es. Bonheur est la. Pose donc ton chapeau sur la chaise qui est là. Tu as soif ? Voici de l’eau de puits bleue et du vin. Ma mère va descendre et te dire : « Samnin… » et ma chienne appuyer son museau sur ta main. Je parle. Tu souris d’un sérieux sourire, Le temps n’existe pas. Et tu me laisses dire. Le soir vient. Nous marchons dans la lumière jaune qui fait les fins du jour ressembler à l’Automne. Et nous longeons le gave. Une colombe rauque gémit tout doucement dans un peuplier glauque. Je bavarde. Tu souris encore. Bonheur se tait. Voici la route obscure au déclin de l’été, voici que nous rentrons sur les pauvres pavés, voici l’ombre à genoux près des belles-de-nuit qui ornent les seuils noirs où la fumée bleuit. Ta mort ne change rien. L’ombre que tu aimais, où tu vivais, où tu souffrais, où tu chantais, c’est nous qui la quittons et c’est toi qui la gardes. Ta lumière naquit de cette obscurité qui nous pousse ù genoux par ces beaux soirs d’Été où, flairant Dieu qui passe et fait vivre les blés, sous les liserons noirs aboient les chiens de garde. Je ne regrette pas ta mort. D’autres mettront le laurier qui convient aux rides de ton front. Moi, j’aurais peur de te blesser, te connaissant. Il ne faut pas cacher aux enfants de seize ans qui suivront ton cercueil en pleurant sur ta lyre, la gloire de ceux-là qui meurent le front libre. Je ne regrette pas ta mort. Ta vie est là. Comme la voix du vent qui berce les lilas ne meurt point, mais revient après bien des années dans les mêmes lilas qu’on avait crus fanés, tes chants, mon cher Samain, reviendront pour bercer les enfants que déjà mûrissent nos pensées.
Sur ta tombe, pareil à quelque pôtre antique dont pleure le troupeau sur la pauvre colline, je chercherais en vain ce que je peux porter. Le sel serait mangé par l’agneau des ravines, et le vin serait bu par ceux qui t’ont pillé.
Je songe à toi. Le jour baisse comme en ce jour où je te vis dans mon vieux salon de campagne. Je songe à toi. Je songe aux montagnes natales. Je songe à ce Versaille où tu me promenas, où nous disions des vers, tristes et pas à pas. Je songe à ton ami et je songe à ta mère. Je songe à ces moutons qui, au bord du lac bleu, en attendant la mort bêlaient sur leurs clarines. Je songe à toi. Je songe au vide pur des cieux. Je songe à l’eau sans fin, à la clarté des feux. Je songe à la rosée qui brille sur les vignes. Je songe à toi. Je songe à moi. Je songe à Dieu.
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)