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Bonaparte - Alphonse de Lamartine

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Message  Gil Def Mar 27 Avr - 13:58

Bonaparte - Alphonse de Lamartine 721364  Bonaparte - Alphonse de Lamartine 721364  Bonaparte - Alphonse de Lamartine 721364


HISTOIRE ET POLITIQUE
LE PREMIER EMPIRE

Bonaparte - Alphonse de Lamartine Napolz13





Bonaparte
"Nouvelles méditations poétiques" - 1823
Alphonse de Lamartine


Bonaparte - Alphonse de Lamartine Bonapa10


Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier, de loin, voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé ;
Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue… un sceptre brisé.

Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre !
Ce nom, il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d’esclaves
Qu’il foulait tremblants sous son char.

Depuis les deux grands noms qu’un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu’ici-bas toute langue prononce
Sur l’aile de la foudre aussi loin ne vola ;
Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface
N’imprima sur la terre une plus forte trace :
Et ce pied s’est arrêté là…

Il est là !… Sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure :
Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil.
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n’entend que le bruit monotone
D’une vague contre un écueil.

Ne crains pas cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non ! La lyre aux tombeaux n’a jamais insulté :
La mort de tout temps fut l’asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu’ici poursuivre une mémoire ;
Rien… excepté la vérité !

Ta tombe et ton berceau sont couverts d’un nuage.
Mais, pareil à l’éclair, tu sortis d’un orage ;
Tu foudroyas le monde avant d’avoir un nom :
Tel ce Nil, dont Memphis boit les vagues fécondes,
Avant d’être nommé fait bouillonner ses ondes
Aux solitudes de Memnon.

Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides :
La victoire te prit sur ses ailes rapides ;
D’un peuple de Brutus la gloire te fit roi.
Ce siècle, dont l’écume entraînait dans sa course
Les mœurs, les rois, les dieux… refoulé vers sa source,
Recula d’un pas devant toi.

Tu combattis l’erreur sans regarder le nombre ;
Pareil au fier Jacob, tu luttas contre une ombre ;
Le fantôme croula sous le poids d’un mortel ;
Et, de tous ces grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux comme la main du crime
Avec les vases de l’autel.

Ainsi, dans les accès d’un impuissant délire,
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s’élève,
Le frappe avec son sceptre… Il s’éveille, et le rêve
Tombe devant la vérité.

Ah ! si, rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l’affront !
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème
La gloire aurait sacré ton front !

Gloire, honneur, liberté, ces mots que l’homme adore,
Retentissaient pour toi comme l’airain sonore
Dont un stupide écho répète au loin le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l’épée,
Et le mâle accord du clairon.

Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde que l’empire.
Tu marchais… tout obstacle était ton ennemi.
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,
Même à travers un cœur ami.

Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l’ivresse ;
Tes yeux d’une autre pourpre aimaient à s’enivrer.
Comme un soldat debout qui veille sous ses armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,
Sans sourire et sans soupirer.

Tu n’aimais que le bruit du fer, le cri d’alarmes,
L’éclat resplendissant de l’aube sur les armes ;
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient, comme un vent, la sanglante poussière,
Et que ses pieds brisaient l’acier.

Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure.
Rien d’humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser.
Comme l’aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n’avais qu’un regard pour mesurer la terre,
Et des serres pour l’embrasser.

S’élancer d’un seul bond au char de la victoire ;
Foudroyer l’univers des splendeurs de sa gloire ;
Fouler d’un même pied des tribuns et des rois ;
Forger un joug trempé dans l’amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l’enchaîne
Un peuple échappé de ses lois ;

Être d’un siècle entier la pensée et la vie ;
Émousser le poignard, décourager l’envie,
Ébranler, raffermir l’univers incertain ;
Aux sinistres clartés de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,
Quel rêve !  !  ! et ce fut ton destin !…

Tu tombas cependant de ce sublime faîte :
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ;
Et le sort, ce seul dieu qu’adora ton audace,
Pour dernière faveur t’accorda cet espace
Entre le trône et le tombeau.

Oh ! qui m’aurait donné d’y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de ta grandeur passée
Venait, comme un remords, t’assaillir loin du bruit,
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu que la pensée incline,
L’horreur passait comme la nuit ?

Tel qu’un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de loin se prolonger sur l’onde,
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel, du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l’ombre du passé te recherchant toi-même,
Tu rappelais tes anciens jours.

Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l’œil voit sur les mers étinceler les cimes :
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ;
Et, d’un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t’apportait une brillante image
Que tu suivais longtemps des yeux.

Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ;
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ;
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ;
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ;
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée.
Ici… Mais quel effroi soudain !

Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D’où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu’as-tu vu tout à coup dans l’horreur du passé ?
Est-ce de vingt cités la ruine fumante,
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?
Mais la gloire a tout effacé.

La gloire efface tout… tout, excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d’une victime,
Un jeune homme, un héros d’un sang pur inondé.
Le flot qui l’apportait passait, passait sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé…

Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait :
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu’un diadème,
Le couronnait de son forfait.

C’est pour cela, tyran, que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie ;
Qu’une trace de sang suivra partout ton char,
Et que ton nom, jouet d’un éternel orage,
Sera par l’avenir ballotté d’âge en âge
Entre Marius et César.

Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu’un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d’être payé ;
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice
Au Dieu qui t’avait envoyé !

On dit qu’aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l’éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever :
Le signe rédempteur toucha son front farouche ;
Et même on entendit commencer sur sa bouche
Un nom… qu’il n’osait achever.

Achève… C’est le Dieu qui règne et qui couronne,
C’est le Dieu qui punit, c’est le Dieu qui pardonne :
Pour les héros et nous il a des poids divers.
Parle-lui sans effroi : lui seul peut te comprendre.
L’esclave et le tyran ont tous un compte à rendre ;
L’un du sceptre, l’autre des fers.

Son cercueil est fermé : Dieu l’a jugé. Silence !
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n’y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ?
Et vous, peuples, sachez le vain prix du génie
Qui ne fonde pas des vertus !





COMMENTAIRE DE LAMARTINE


Cette Méditation fut écrite à Saint-Point, dans la petite tour du nord, au printemps de l’année 1821, peu de mois après qu’on eut appris en France la mort de Bonaparte à Sainte-Hélène. Elle fit une immense impression dans le temps. Je n’aimais pas Bonaparte : j’avais été élevé dans l’horreur de sa tyrannie. L’inquisition de cet homme contre la pensée était telle, que la police de Paris ayant été informée qu’un jeune homme de Mâcon, âgé de dix-sept ans, prenait des leçons de langue anglaise d’un prisonnier de guerre en résidence dans cette ville, le préfet vint chez le père de ce jeune homme lui signifier, au nom de l’empereur, de faire cesser cette étude de son fils, s’il ne voulait pas porter ombrage au gouvernement. En écrivant cette ode, qu’on a trouvée quelquefois trop sévère, je me trouvais donc moi-même trop indulgent, je me reprochais quelque complaisance pour la popularité posthume de ce grand nom. La dernière strophe surtout est un sacrifice immoral à ce qu’on appelle la gloire. Le génie par lui-même n’est rien moins qu’une vertu ; ce n’est qu’un don, une faculté, un instrument : il n’expie rien, il aggrave tout. Le génie mal employé est un crime plus illustre : voilà la vérité en prose. J’ai corrigé ici ces deux vers, qui pesaient comme un remords sur ma conscience.

La circonstance dans laquelle j’appris la nouvelle de la mort de Bonaparte est trop remarquable pour que je ne la consigne pas ici.

J’étais à Aix, en Savoie. Madame de Saint-Fargeau, fille de Lepelletier de Saint-Fargeau, assassiné par Paris le jour de la condamnation de Louis XVI, en expiation de son vote, m’avait invité à dîner chez elle. Je me rendis à son hôtel. J’y trouvai le maréchal Marmont ; il ignorait encore, comme tout le monde, la mort de son compagnon de jeunesse et de son empereur. Un moment après, entra M. de Lally-Tollendal. La conversation s’engagea sur des choses indifférentes. On attendit longtemps un quatrième convive ; c’était le duc Dalberg, ambassadeur à Turin. Comme il n’arrivait pas, on se mit à table. L’entretien était serein ; gai, très-intéressant pour moi, jeune homme obscur, assis entre les représentants de deux siècles. Enfin, au milieu du dîner, arriva le duc Dalberg. Il paraissait ému. Il s’excusa sur la nécessité où il avait été d’ouvrir son courrier, et de lire des dépêches importantes. « Il y a une bien grande nouvelle, » dit-il à madame de Saint-Fargeau avant de s’asseoir ; « il est mort ! » Il voulait dire l’homme du siècle. Tout le monde le comprit. Le duc raconta alors l’événement et les détails.

J’étais en face du maréchal Marmont. Je surpris la nature avant qu’elle eût le temps de s’arranger ou de se voiler. Je vis dans la pâleur subite de la physionomie, dans le pli involontaire des lèvres, dans l’accent brisé de la voix, et bientôt dans les larmes montant du cœur aux yeux sous les larges sourcils noirs du soldat, la douleur non simulée, mais profonde et déchirante, de l’homme et de l’ami. Tous ceux qui étaient là détestaient Bonaparte : le duc Dalberg, comme ami de M. de Talleyrand ; M. de Lally-Tollendal, comme émigré rentré, voué au culte des Bourbons ; madame de Saint-Fargeau, comme fille de son père, ayant eu la république pour marraine ; moi, comme poëte. Le maréchal n’avait donc aucun intérêt à feindre. D’ailleurs, il n’aurait pas eu le temps de composer son visage. Il fut atterré. Il se leva de table, et marcha longtemps dans la salle, les yeux levés au ciel, et les lèvres balbutiant des mots que nous n’entendions pas.

Non, un tel homme n’était pas un traître ! Il avait été placé dans une circonstance terrible entre sa patrie et son ami, bourrelé, surpris, indécis, entraîné. Mais il y avait eu étourdissement dans sa pensée ; il a subi une fatalité, il a perdu une heure plus tôt, il n’a pas vendu son bienfaiteur. L’attachement dans le cœur ne survit pas à la trahison. L’histoire peut chercher les clauses du pacte infâme et imaginaire dans lequel il aurait vendu son compagnon de jeunesse. Quant à moi, j’ai vu les larmes de l’ami. Je ne crois pas au traître. 




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