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Le tombeau d'une mère - Alphonse de Lamartine

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Le tombeau d'une mère - Alphonse de Lamartine Empty Le tombeau d'une mère - Alphonse de Lamartine

Message  Gil Def Dim 23 Mai - 14:14

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LA MORT ET LE DEUIL

Le tombeau d'une mère - Alphonse de Lamartine 0_som159





Le tombeau d'une mère  
"Harmonies poétiques et religieuses" - 1830
Alphonse de Lamartine


Le tombeau d'une mère - Alphonse de Lamartine Tombea10


Un jour, les yeux lassés de veilles et de larmes,
Comme un lutteur vaincu prêt à jeter ses armes,
Je disais à l’aurore : « En vain tu vas briller ;
La nature trahit nos yeux par ses merveilles ;
Et le ciel, coloré de ses teintes vermeilles,
Ne sourit que pour nous railler.

» Rien n’est vrai, rien n’est faux ; tout est songe et mensonge,
Illusion du cœur qu’un vain espoir prolonge.
Nos seules vérités, hommes, sont nos douleurs.
Cet éclair dans nos yeux que nous nommons la vie,
Brille à peine un moment à notre âme éblouie,
Qu’il s’éteint et s’allume ailleurs !

» Plus nous ouvrons les yeux, plus la nuit est profonde.
Dieu n’est qu’un mot rêvé pour expliquer le monde,
Un plus obscur abîme où l’esprit s’est lancé ;
Et tout flotte et tout tombe, ainsi que la poussière
Que fait en tourbillons dans l’aride carrière
Lever le pied d’un insensé ! »

Je disais ; et mes yeux voyaient avec envie
Tout ce qui n’a reçu qu’une insensible vie,
Et dont nul rêve au moins n’agite le sommeil ;
Au sillon, au rocher j’attachais ma paupière,
Et ce regard disait : À la brute, à la pierre,
Au moins que ne suis-je pareil ?

Et ce regard, errant comme l’œil du pilote
Qui demande sa route à l’abîme qui flotte,
S’arrêta tout à coup, fixé sur un tombeau ;
Tombeau, cher entretien d’une douleur amère,
Où le gazon sacré qui recouvre ma mère
Grandit sous les pleurs du hameau !

Là, quand l’ange voilé sous les traits d’une femme
Dans le Dieu sa lumière eut exhalé son âme,
Comme on souffle une lampe à l’approche du jour ;
À l’ombre des autels qu’elle aimait à toute heure,
Je lui creusai moi-même une étroite demeure,
Une porte à l’autre séjour !

Là dort dans son espoir celle dont le sourire
Cherchait encor mes yeux à l’heure où tout expire,
Ce cœur, source du mien, ce sein qui m’a conçu,
Ce sein qui m’allaita de lait et de tendresses,
Ces bras qui n’ont été qu’un berceau de caresses,
Ces lèvres dont j’ai tout reçu !

Là dorment soixante ans d’une seule pensée,
D’une vie à bien faire uniquement passée,
D’innocence, d’amour, d’espoir, de pureté ;
Tant d’aspirations vers son Dieu répétées,
Tant de foi dans la mort, tant de vertus jetées
En gage à l’immortalité,

Tant de nuits sans sommeil pour veiller la souffrance,
Tant de pain retranché pour nourrir l’indigence,
Tant de pleurs toujours prêts à s’unir à des pleurs,
Tant de soupirs brûlants vers une autre patrie,
Et tant de patience à porter une vie
Dont la couronne était ailleurs !

Et tout cela, pourquoi ? Pour qu’un creux dans le sable
Absorbât pour jamais cet être intarissable ;
Pour que ces vils sillons en fussent engraissés ;
Pour que l’herbe des morts dont sa tombe est couverte
Grandît, là, sous mes pieds, plus épaisse et plus verte !
Un peu de cendre était assez !

Non, non ! pour éclairer trois pas sur la poussière,
Dieu n’aurait pas créé cette immense lumière,
Cette âme au long regard, à l’héroïque effort !
Sur cette froide pierre en vain le regard tombe,
Ô vertu ! ton aspect est plus fort que la tombe,
Et plus évident que la mort.

Et mon œil, convaincu de ce grand témoignage,
Se releva de terre et sortit du nuage,
Et mon cœur ténébreux recouvra son flambeau.
Heureux l’homme à qui Dieu donne une sainte mère
En vain la vie est dure et la mort est amère :
Qui peut douter sur son tombeau ?





COMMENTAIRE DE LAMARTINE

Ma mère a été la plus grande, la plus douce et la plus permanente occupation de ma pensée. J’espérais la conserver jusqu’à mes jours les plus avancés. La jeunesse perpétuelle de son âme se communiquait à son visage. Les années n’avaient laissé aucune trace sur ses traits : à soixante-six ans, on la confondait avec ses filles. Elle était conservée par l’atmosphère de résignation, de piété et de paix intérieure, dans laquelle elle s’enveloppait comme ces parfums fugitifs, ou comme ces fleurs rares qu’on empêche de s’évaporer ou de se flétrir en les préservant du contact de l’air terrestre. Les circonstances de sa mort ajoutèrent pour moi à la douleur de sa perte.

Je l’avais laissée pour quelques jours rayonnante de bonheur, d’espérance et de vie. J’étais à Paris. Un matin, en entrant dans le bain, elle trouva l’eau trop froide ; elle était seule ; elle ouvrit le conduit d’eau chaude, l’eau bouillante la frappa d’un jet qui jaillit jusqu’à sa poitrine : elle s’évanouit. On accourut à son cri, il était trop tard. On la reporta dans son lit ; elle reprit connaissance, souffrit deux jours, pria constamment, se réjouit de ce que je n’étais pas là, pour m’éviter, disait-elle, le spectacle de sa fin, et mourut en prononçant mon nom dans son agonie. Ma femme, qui la veillait seule, me dit qu’elle répétait sans cesse, dans cette dernière nuit, ces mots : Que je suis heureuse ! que je suis heureuse ! On lui demanda de quoi. Elle répondit : « De mourir rêsignée et purifiée. » Un de mes amis m’annonça cette perte inattendue, à Paris. Je crus que la terre manquait sous moi. Je partis, j’arrivai : il était trop tard ; elle reposait déjà dans le cimetière de la ville. J’obtins la permission de la faire exhumer, et de transporter ses restes à Saint-Point. Je revis son visage, aussi serein que dans un sommeil. Les paysans, qui l’adoraient, vinrent une nuit prendre le cercueil, et le portèrent, en se relevant, sur leurs épaules pendant huit lieues. Je marchais à pied derrière eux. Au lever du soleil, nous arrivâmes au pied des montagnes qu’il faut traverser pour descendre dans la vallée de Saint-Point. Elles étaient couvertes de six pieds de neige. Nous étions obligés de faire creuser un sentier entre deux murailles blanches devant le cercueil. Quelle marche ! quel cortége ! quelle arrivée !

Le tombeau que je lui destinais n’était pas encore élevé. Je déposai le cercueil dans le caveau souterrain de l’église ; je restai seul quelques jours à pleurer ma mère dans ce pays qu’elle avait tant aimé, et dans cette demeure pleine d’elle. Le printemps suivant, je bâtis une chapelle entre l’église et le jardin. Elle y repose, mais elle n’y repose déjà plus seule. Il n’y a qu’une inscription en lettres de bronze incrustées dans la corniche gothique de l’ogive qui sert de portique à la mort :

SPERAVIT ANIMA MEA.
Elle a toujours espéré, en effet, jusque dans la mort. On le voit par ses dernières paroles. Son âme n’était qu’une aspiration.

Maintenant, quand je m’approche de son tombeau, je dérange souvent de pauvres femmes des villages voisins, qui viennent prier sur sa tombe comme sur les reliques d’un saint, et je trouve toujours sur les dalles quelques bouquets de fleurs sauvages qu’elles y ont jetés à travers les barreaux de la grille.



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