Les morts pour la Patrie - Anna de Noailles
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Les morts pour la Patrie - Anna de Noailles
HISTOIRE ET POLITIQUE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE |
Les morts pour la Patrie "Les Forces éternelles" - 1920 Anna de Noailles Les morts pour la Patrie ont la gloire plénière. Ce long halètement des cœurs vers la lumière, Où le génie humain épuise son effort, Ceux-là n’en ont pas eu besoin : ils sont bien morts : D’un coup ils ont rejoint l’éternité des siècles ; Artisans du futur, ils ont près d’eux les aigles Et la colombe avec l’olivier en son bec. Us dorment sous la vaste épitaphe des Grecs Dont le monde à jamais s’enoblit et s’étonne : « Passant, regarde, et va dire à Lacédémone… » Ces mots-là sont plus beaux qu’avoir vingt ans encor. Nul ne mourra jamais aussi bien qu’ils sont morts. L’ode, la symphonie et les nobles musées Ne peuvent égaler ces âmes amusées À jeter, comme un blé débordant le semeur, Les astres qu’un héros lance aux cieux quand il meurt. Ils ont rendu la nue épique et surhumaine ; L'espace, imprégné d’eux, perpétue et ramène Leurs souffles, leurs regards et leurs fiers mouvements. Ils ne sont plus des corps, ils sont des éléments. Ils nous laissent la mort restreinte et solitaire, L'angoisse de descendre, amoindris, sous la terre : C'est par la solitude et son manque d’amour Qu’il est dur de quitter la lumière du jour ! Nous, dans notre agonie anxieuse et chétive, Nous saurons qu’il est vain que l’on meure ou qu’on vive, Puisque, pendant des jours et des nuits, les combats Jetaient de jeunes corps qui ne murmuraient pas. Mais eux, foule héroïque éparse dans la brise, Cavalcade emportée, escadrons, pelotons, Ils ont cerclé l’azur d’une immortelle frise Qui fait à l’univers un sublime fronton ! Les mondes périront avant qu’ils ne périssent. Mourants, nous envierons leur turbulent destin, Nous dirons, en songeant à leur grand sacrifice : L'azur brillait, c’était quelquefois le matin Quand il fallait partir au feu ; le frais feuillage Se mouvait comme l’eau drainant ses coquillages. Il voyait s’éveiller le doux monde animal. L'odeur de la fumée et du chaume automnal Répandait son furtif et pénétrant bien-être ; Les volets dans le vent battaient sur les fenêtres Le village était gai, sentant qu’il serait fier, On respirait l’odeur de la gloire, dans l’air ; Parfois, on entendait tomber les glands des chênes Jetés par l’écureuil ; la pierreuse fontaine De son jet mesuré, distrait et persistant. Lavait, désaltérait ces visages contents Qui laissaient sans regret une dernière alcôve. Les femmes apportaient les glaïeuls et les mauves Du verger. Les enfants se faisaient signe entre eux Que ces aînés partaient pour d’ineffables jeux. On s’empressait, nouant à la hâte, aux armures, fleurs, prêtes déjà pour des tombes futures. Les soldats se mettaient en marche. Leur maintien Semblait prendre congé du joug quotidien Dont nulle àme ici-bas, si Dieu l’a faite altière, N’a supporté sans pleurs le pain et la litière… Ils partaient, ils étaient hardis, chacun voulant Étonner son ami par un plus noble élan, Leurs âmes, en montant, se bousculaient sans doute Sur la céleste voie où les héros font route. Ils riaient. En riant, ils savaient que l’on meurt Quand on accepte avec cette royale humeur De courir à l’assaut comme à la promenade. Ils mettaient leurs gants blancs devant la canonnade Et tendaient cette main de fiancé joyeux À la vierge d’airain qui leur broyait les yeux Jusqu’à ce que le jour sombrât sous leurs paupières... – Ô morts, assistez-nous à notre heure dernière ! Prenez pitié de nous, sachez combien vraiment Nous vous avons aimés fièrement, humblement ! Dites-nous, pour qu’un peu de force nous soutienne : « J'eus la mort des élus, sache endurer la tienne Avec ce qu’elle a d’âpre, et de pauvre et d’amer. Oui, j’ai goûté le feu, j’ai marché sur la mer, J'ai crié : Lève-toi ! à des têtes penchées, Et ma voix réveillait les morts dans les tranchées. J'ai noué sur mon cœur frémissant et muet Une chaîne d’acier que le soupir rompait. J'ai tenu dans ma main une moisson de lances, Et manié un fer plus dur : la patience. J'ai bu mon sang. J’ai pris, il le fallait aussi, De l’ennemi blessé un fraternel souci. Ô toi, qui n’as pas pu mourir dans cette gloire, Apaise-toi. Je suis un ange dans l’Histoire, L'Histoire, que tout être implore les doigts joints ! Mais je commande encor, chère âme, et je t’enjoins De poser doucement ton front dans ma blessure, Je n’étais pas cruel quand je tuais. Mesure, Dans ce cœur entr’ouvert d’où s’épanche le sang, Combien la haine est faible et l’amour est puissant. Nous fûmes les soldats de l’amour, ceux qui disent : « Nous faisons l’avenir, et nos terres promises « — La liberté, l’espoir, l’orgueil loyal et droit, — « Nous ne permettrons pas, ô peuples, que vos rois « En fassent un désert où de serviles hordes « Enchaîneraient la Paix et la Miséricorde ! « Nous gravissons les monts. Honte à celui qui met « Un obstacle à l’attrait sublime des sommets « D’où le cœur s’apparente à la nue infinie… » Si vous parlez ainsi près de mon agonie, Soldat de dix-neuf cent quatorze, cher humain, Je laisserai s’ouvrir docilement ma main Qui fermait sur le monde une étreinte acharnée ; Et, simple comme au jour d’automne où je suis née Je verrai sans regret mon esprit s’engloutir Dans votre éternité illustre de Martyr ! Autres textes du même auteur Annecy Après l'ondée Automne, ton soleil Bayonne Ce ne sont pas les mots Chaleur Comme le temps est court Constantinople Eloge de la rose Entre les tombeaux et les astres Exaltation Eveil d'une journée Il fera longtemps clair ce soir Il pleut. Le ciel est noir J'écris pour que le jour où je ne serai plus J'espère de mourir Je croyais être Je veux bien respirer… Jeunesse Joviale odeur de la neige L'abondance L'ardeur L'automne L'enchantement de la Sicile L'enfance L'hiver L'Ile des folles à Venise L'innocence L'inquiet désir L'Inspiration L'offrande à la nature La cité natale La jeunesse La journée heureuse La mort de Jaurès La mort dit à l'homme La mort fervente La musique de Chopin La naissance du jour La vie profonde Le baiser Le cri des hirondelles Le jardin et la maison Le pays Le plaisir des oiseaux Le port de Palerme Le soldat Le souvenir des morts Le temps de vivre Le verger Le voyage Le voyage sentimental Les biches Les bords de la Marne Les îles bienheureuses Les journées romaines Les morts Les nuits d'été Les plaisirs des jardins Les poètes romantiques Les voyages Matin frémissant Mon âme de peine et de joie Novembre O lumineux matin Ô Mort, vous rendez tout… Paysage du Hainaut Prière au destin Prière du combattant Qu'ai-je à faire de vous ? S'il est quelque autre chose au monde Stances à Victor Hugo Trains en été Tristesse de l'amour Un automne à Venise Un jardin au printemps Un soir à Vérone Un soir en Flandre Verdun Versailles Visite à la cathédrale de Reims |
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