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Bayonne "Les Eblouissements" - 1907 Anna de Noailles
Sur la calme rivière où le soleil repose Les bateaux ont ce soir des coques d’argent rose, Et les flots sont pareils à du liquide blé, Tant le chaud crépuscule à l’azur emmêlé Partout descend, reluit, se suspend et rayonne… Par la porte d’Espagne on entre dans Bayonne ; Ah ! comme on est soudain paisible, heureux, content, Il semble que le cœur la désire et l’attend ! Ses toits roses, penchés sur son eau bleue et grise La font aussi luisante, aussi molle que Pise. Rien ne peut plus tenter son rêve ambitieux, Elle a son cloître avec des rosiers au milieu, Des fenêtres où bombe un noir et fin grillage, L’aspect d’avoir vécu pendant un très long âge, Et de garder empreints aux tiédeurs de son sol Les pieds mystérieux et doux de Doña Sol… – Bayonne au cœur charmant française orientale, Ton visage, fardé de vapeur d’or, s’étale Sous un azur au ciel de Tolède pareil. Tes beaux petits jardins qui sont sous le soleil Jettent une lueur jaune, rouge, vivante. Tu n’as pas l’âpre éclat, ni la force énervante, Ni la plaie amoureuse ouverte dans le cœur, Ni la sombre fierté, ni la pourpre saveur De tes sœurs d’Italie et de tes sœurs d’Espagne, Mais de quelle bonté ta grâce s’accompagne ! Tu regardes briller dans tes soirs clairs et lents Des combats de taureaux qui ne sont pas sanglants, Tu portes en riant, sur ton âme païenne, Les mystiques langueurs de la vieille Guyenne, Et tends ainsi qu’un arc, dans la splendeur du jour, Ton pont délicieux qui traverse l’Adour. Et quand le moment vient de comparer ta grâce Aux villes d’Orient dont l’éclat te dépasse, A ces bourgs catalans dont tu ne peux goûter Que les parfums flottants sur les brises d’été, Tu trouves dans ton cœur, qu’un si doux azur baise, Le bienheureux orgueil de la langue française…
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