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Le violon "Les Caresses" - 1877 Jean Richepin
Mon cœur est un violon Sur lequel ton archet joue, Et qui vibre tout du long, Appuyé contre ta joue.
Tantôt l’air est vif et gai Comme un refrain de folie, Tantôt le son fatigué Traîne avec mélancolie.
C’est la chanson des baisers Qui d’abord court, saute et danse, Puis en rhythmes apaisés S’endort sur une cadence.
C’est la chanson des seins blancs Qui s’enflent comme des vagues, Puis qui se calment, tremblants Comme un lac aux frissons vagues.
C’est la chanson de ton corps Qui fait chanter ses caresses, Puis s’éteint dans des accords De langoureuses paresses.
C’est la chanson qui rend fou. Rends-moi fou, ça te regarde ; Mais si tu fais trop joujou Sur le violon, prends garde !
Prends garde ! l’âme est debout ; Les quatre cordes, tordues Sur les clefs tout près du tout, Jusqu’à casser sont tendues.
Et pourtant, ô fol archet, Sur ces cordes tu gambilles Comme ce clown qui marchait En dansant sur des coquilles.
Ta vas, tu les prends d’assaut, Et tu mords leur nerf qui vibre, Et tu bondis, et d’un saut Tu leur fais grincer la fibre ;
Et pleurant à pleine voix, Pour si peu que tu le veuilles, Les cordes, l’âme et le bois, Tremblent ainsi que des feuilles.
À force de t’amuser En caprices trop agiles, Tu finiras par user Les pauvres cordes fragiles.
Rompu comme un vieux tremplin, Déjà le bois perd sa force, Et sur l’âme qui se plaint Il se fend comme une écorce.
Un jour, sous un dernier coup, La merveilleuse machine Entre tes doigts et ton cou Laissant craquer son échine,
Dans un tradéridéra Ou quelque autre galipète L’instrument éclatera Comme une bulle qui pète.
Prends garde ! le bois méchant Entrera dans ta main douce ; Les cordes en se lâchant Te cingleront la frimousse.
Alors l’archet, mais en vain, Regrettera ses folies ; Car du violon divin Et des cordes abolies
Il ne te restera plus Qu’un trait bleu sur ta peau mate, Des repentirs superflus, Et puis du sang sur la patte.
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