Gil Def Lun 12 Avr - 8:11
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La Mer du Nord "La Mer élégante" - 1881 Georges Rodenbach
Ce n’est pas la mer bleue où se mire et se mêle Le beau ciel du Midi toujours d’azur comme elle Que je veux chanter dans mes vers ; La mer où les bateaux voguent comme des cygnes, Où les bords sont ourlés d’oliviers et de vignes Et de larges pins toujours verts !
Ce n’est pas l’Océan aux falaises massives Où le troupeau hurlant des vagues convulsives Est battu sans cesse et broyé,
L’Océan qu’on prendrait pour un grand cimetière Car de loin chaque flot semble un tombeau de pierre Qui recouvre un marin noyé !
Non ! c’est la mer du Nord, la mer brumeuse et glauque Qui berce avec sa voix exaspérée et rauque Ses bruns enfants, les matelots ; La mer du Nord qui vient en chantant vers la Flandre Pour la baiser, comme un amant fougueux et tendre, Avec les lèvres de ses flots.
C’est elle que je veux chanter : ses dunes blondes, Ses mouettes formant sur les vagues profondes Un archipel de blancs îlots ; Et ses barques de pêche inclinant leurs voilures, Et ses baigneurs joyeux mêlant leurs chevelures Aux longues crinières des flots !
C’est elle ! c’est la mer du Nord ! la sœur jumelle De la terre de Flandre, indomptable comme elle ; Sur leur double horizon mouvant — Dès que la nuit s’enfuit dans son manteau d’étoiles — La barque et le moulin livrent tous deux leurs voiles Au souffle impétueux du vent.
C’est sa côte étalant dans les brumes dormantes Tant de hameaux coquets et de villes charmantes, Fraîches oasis de la mer, Ostende, Blankenberghe, Heyst, Nieuport et La Panne Où tous mes souvenirs s’en vont en caravane Pendant les tristes mois d’hiver !
C’est devant cette mer où se mire un ciel terne Que je peindrai la vie élégante et moderne S’étalant au seuil des villas Où les femmes debout sous les dômes de verre Montrent leurs blancs profils, comme au fond d’une serre De très pâles camélias.
Tout ce monde pimpant, poudré, rieur, prodigue, Le matin sur la plage et le soir sur la digue Viendra s’ébattre au bord de l’eau ; Il papillonnera, ce monde tout en joie Drapé dans le satin, la dentelle et la soie Comme des bergers de Watteau.
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)