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La soupe du soir - Paul Verlaine

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Message  Gil Def Lun 12 Avr - 16:30

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HISTOIRES SINGULIERES

La soupe du soir - Paul Verlaine 0_somm73





La soupe du soir  
"Jadis et naguère" - 1884
Paul Verlaine
Récitant : Michel Favory





Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l’homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n’a pas prononcé deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.

Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises.
Une table qui va s’écroulant d’un côté, —
Le tout navrant avec un air de saleté.

L’homme, grand front, grands yeux pleins d’une sombre flamme,
A vraiment des lueurs d’intelligence et d’âme,
Et c’est ce qu’on appelle un solide garçon.
La femme, jeune encore, est belle à sa façon.

Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,
Et perdant par degrés rapides ce qui reste
I]n eux de tristement vénérable et d’humain,
Ce seront la femelle et le mâle, demain.

Tous se sont attablés pour manger de la soupe
Et du bœuf, et ce tas sordide forme un groupe
Dont l’ombre à l’infini s’allonge tout autour
De la chambre, la lampe étant sans abat-jour.

Les enfants sont petits et pâles, mais robustes
En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes,
Qui disent les hivers passés sans feu souvent
Et les étés subits dans un air étouffant.

Non loin d’un vieux fusil rouillé qu’un clou supporte
Et que la lampe fait luire d’étrange sorte,
Quelqu’un qui chercherait longtemps dans ce retrait
Avec l’œil d’un agent de police verrait

Empilés dans le fond de la boiteuse armoire
Quelques livres poudreux de « science » et « d’histoire »,
Et, sous le matelas, cachés avec grand soin,
Des romans capiteux cornés à chaque coin.

Ils mangent cependant. L’homme, morne et farouche,
Porte la nourriture écœurante à sa bouche
D’un air qui n’est rien moins nonobstant que soumis,
Et son eustache semble à d’autres soins promis.

La femme pense à quelque ancienne compagne,
Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,
Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,
Ronflant sur leur assiette, imitent des sanglots.








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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
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