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Un soir à Vérone "Les Vivants et les Morts" - 1913 Anna de Noailles
Le soir baigne d’argent les places de Vérone ; Les cieux roses et ronds, rayés d’ifs, de cyprès, Font à la ville une couronne De tristes et verts minarets.
Sur les ors languissants du palais du Concile, On voit luire, ondoyer un manteau duveté : Les pigeons amoureux, dociles, Frémissent là de volupté.
L’Adige, entre les murs de brique qu’il reflète, Roule son rouge flot, large, brusque, puissant. Dans la ville de Juliette Un fleuve a la couleur du sang !
— Ô tragique douceur de la cité sanglante, Rue où le passé vit sous les vents endormis : Un masque court, ombre galante, Au bal des amants ennemis.
Je m’élance, et je vois ta maison, Juliette ! Si plaintive, si noire, ainsi qu’un froid charbon. C’est là que la fraîche alouette T’épouvantait de sa chanson !
Que tu fus consumée, ô nymphe des supplices ! Que ton mortel désir était fervent et beau Lorsque tu t’écriais : « Nourrice, Que l’on prépare mon tombeau !
"Qu’on prépare ma tombe et mon funèbre somme, Que mon lit nuptial soit violet et noir, Si je n’enlace le jeune homme Qui brillait au verger ce soir !… "
— Auprès de ta fureur héroïque et plaintive, Auprès de tes appels, de ton brûlant tourment, La soif est une source vive, La faim est un rassasiement.
Hélas ! tu le savais, qu’il n’est rien sur la terre Que l’invincible amour, par les pleurs ennobli ; Le feu, la musique, la guerre, N’en sont que le reflet pâli !
— Ma sœur, ton sein charmant, ton visage d’aurore, Où sont-ils, cette nuit où je porte ton cœur ? La colombe du sycomore Soupire à mourir de langueur…
Là-bas un lourd palais, couleur de pourpre ardente, Ferme ses volets verts sous le ciel rose et gris ; Je pense au soir d’automne où Dante Écrivit là le Paradis ;
La céleste douceur des tournantes collines Emplissait son regard, à l’heure où las, pensifs, Les anges d’Italie inclinent Le ciel délicat sur les ifs.
Mais que tu m’es plus chère, ô maison de l’ivresse, Balcon où frémissait le chant du rossignol, Où Juliette qui caresse Suspend Roméo à son col !
Ah ! que tu m’es plus cher, sombre balcon des fièvres, Où l’échelle de soie en chantant tournoyait, Où les amants, joignant leurs lèvres, Sanglotaient entre eux : « Je vous ai ! »
— Que l’amour soit béni parmi toutes les choses, Que son nom soit sacré, son règne ample et complet ; Je n’offre les lauriers, les roses, Qu’à la fille des Capulet !
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