COUPS DE COEUR POETIQUES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles

Aller en bas

L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles Empty L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles

Message  Gil Def Jeu 13 Mai - 10:09

L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles 721364  L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles 721364  L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles 721364


HISTOIRES SINGULIERES

L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles 0_somm73





L'Ile des folles à Venise  
"Les Vivants et les Morts" - 1913
Anna de Noailles


L'Ile des folles à Venise - Anna de Noailles L_ile_10


La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
— Ce rose bâtiment, c’est la maison des folles.

Fleur de la passion, île de Saint-Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente !
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l’eau se fige autour comme un cercle du Dante.

— Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l’air appesanti couve son noir orage,
J’entends ces voix d’amour et ces cœurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages !

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m’apporte l’odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu’à mon cœur ces suprêmes sanglots,
— Ô folie, ô sublime et sombre poésie !

Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S’échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l’étroite et démente Cythère ?

Cet automne, où l’angoisse, où la langueur m’étreint,
Un secret désespoir à tant d’ardeur me lie ;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie !

— Pleureuses des beaux soirs voisins de l’Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues,
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l’amante qui chante, et pour l’enfant qui joue.

Ô folles ! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglants, contemplez le rivage :
C’est l’effroi, la stupeur, l’appel, la déraison,
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.

Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot ;
Mais nous, les cœurs mourants, nous, les assassinées,

Nous rôdons, nous vivons ; seuls nos profonds regards,
Qui d’un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l’éclat de leurs rêves hagards
L’effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

— Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L’esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l’être éperdu dans l’abîme s’achève ?

— Ô folles, que vos fronts inclinés soient bénis !
Sur l’épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d’espoir au silence infini,
Se pourrait-il vraiment qu’on marche sans qu’on tombe ?

Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l’ouragan des supplices ?
Douleur, coupe d’amour plus large que les mains,
Avoir un faible cœur, et qu’un Dieu le remplisse !

— Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L’ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez ! À vos cris de l’éternel désir,
Des bords de l’infini les amants vous répondent…








_________________
La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
Gil Def
Gil Def
Admin

Masculin
Nombre de messages : 5856
Age : 74
Localisation : Nord de la France
Date d'inscription : 16/11/2007

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum