La mémoire - René François Sully Prudhomme
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La mémoire - René François Sully Prudhomme
AVEC LE TEMPS LES SOUVENIRS |
La mémoire "Stances et poèmes" - 1865 René François Sully Prudhomme ] I. Ô Mémoire, qui joins à l'heure La chaîne des temps révolus, Je t'admire, étrange demeure Des formes qui n'existent plus ! En vain tombèrent les grands hommes Aux fronts pensifs ou belliqueux : Ils se lèvent quand tu les nommes, Et nous conversons avec eux ; Et, si tu permets ce colloque Avec les plus altiers esprits, Tu permets aussi qu'on évoque Les cœurs humbles qu'on a chéris. Le présent n'est qu'un feu de joie Qui s'écroule à peine amassé, Mais tu peux faire qu'il flamboie Des mille fêtes du passé ; Le présent n'est qu'un cri d'angoisse Qui s'éteint à peine poussé, Mais tu peux faire qu'il s'accroisse Ce tous les sanglots du passé ; L'être des morts n'est plus visible, Mais tu donnes au trépassé Une vie incompréhensible, Présent que tu fais d'un passé ! Quelle existence ai-je rendue À mon père en me souvenant ? Quelle est donc en moi l'étendue Où s'agite ce revenant ? Un sort différent nous sépare : Comment peux-tu nous réunir, À travers le mur qui nous barre Le passé comme l'avenir ? Qui des deux force la barrière ? Me rejoint-il, ou vais-je à lui ? Je ne peux pas vivre en arrière, Il ne peut revivre aujourd'hui ! II. Ô souvenir, l'âme renonce, Effrayée, à te concevoir ; Mais, jusqu'où ton regard s'enfonce, Au chaos des ans j'irai voir ; Parmi les gisantes ruines, Les bibles au feuillet noirci, Je m'instruirai des origines, Des pas que j'ai faits jusqu'ici. Devant moi la vie inquiète Marche en levant sa lampe d'or, Et j'avance en tournant la tête Le long d'un sombre corridor. D'où vient cette folle ? où va-t-elle ? Son tremblant et pâle flambeau N'éclaire ma route éternelle Que du berceau vide au tombeau. Mais j'étais autrefois ! Mon être Ne peut commencer ni finir. Ce que j'étais avant de naître, N'en sais-tu rien, ô souvenir ? Rassemble bien toutes tes forces Et demande aux âges confus Combien j'ai dépouillé d'écorces Et combien de soleils j'ai vus ! Ah ! tu t'obstines à te taire, Ton œil rêveur, clos à demi, Ne suit point par delà la terre Ma racine dans l'infini. Cherchant en vain mes destinées, Mon origine qui me fuit, De la chaîne de mes années Je sens les deux bouts dans la nuit. L'histoire, passante oublieuse, Ne m'a pas appris d'où je sors, Et la terre silencieuse N'a jamais dit où vont les morts. Liste vers les textes de cet auteur |
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
Gil Def- Admin
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