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Tempête obscure "Paysages et Paysans" - 1899 Maurice Rollinat
L'orage, après de longs repos, Ce soir-là, par ses deux suppôts,
La nuée et le vent qui claque, Se présageait pour l'onde opaque.
Grondante sous le ciel muet, Par quintes, la mer se ruait ;
Puis, elle se tut, la perfide, Reprit son niveau brun livide.
Malheur aux coquilles de noix Alors sur l'élément sournois
D'un plat, d'un silence de planche, Risquant leur petite aile blanche !
Car, on le sent à l'angoissé, Au guettant de l'air oppressé,
La paix du gouffre qui se fige Couve la trame du vertige ;
Si calme en dessus, ses dessous Cherchent, ramassent leurs courroux,
En effet, soudain l'eau tranquille Bomba sa face d'encre et d'huile,
Perdit son taciturne intact, Prit un clapotement compact.
Et voilà qu'à rumeurs funèbres La tempête emplit les ténèbres.
Mais, pas un éclair zigzaguant : Rien que l'obscur de l'ouragan !
Ballottée en ce ciel de bistre La lune folle, errant sinistre,
Comme une morte promenant Sa lanterne de revenant,
À hideuses lueurs moroses Éclairait ce drame des choses.
Souffle monstre, outrant sa fureur, Le vent démesurait l'horreur
Des montagnes d'eau dont les cimes Pivotaient, croulant en abîmes
Qui, l'un par l'autre chevauchés, Distordus, engloutis, crachés,
Redressaient leurs masses béantes En Himalayas tournoyantes,
Spectrales des froids rayons verts Se multipliant au travers.
Et, toujours, la houle élastique Réopérait plus frénétique
La métamorphose des flots Dans des tonnerres de sanglots.
Vint alors tant d'obscurité Que ce fracas précipité
N'était plus que la plainte immense, La clameur du vide en démence.
Puis, l'astre blêmissant, terni, Sombra dans le noir infini
Où son vert-de-gris jaune-soufre Se convulsait avec le gouffre.
Les vagues par leurs bonds si hauts Brassaient le ciel dans le chaos ;
Tout tourbillonnait : l'eau, la brume, La voûte, les airs et l'écume,
Tout : fond, sommet, milieu, côtés Dans le pêle-mêle emportés !
Tellement que la mer, les nues, Étaient par degrés devenues
Un même et confus océan Roulant tout seul dans le Néant.
Et, pour l'œil comme pour l'oreille, Existait l'affreuse merveille,
L'âme vivait l'illusion De cette énorme vision,
Tout l'être croyait au mensonge Du terrible tableau mouvant
Qu'avec l'eau, la lune, et le vent, La Nuit composait pour le Songe.
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