Théophile Gautier - Théodore de Banville
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Théophile Gautier - Théodore de Banville
LES PHARES ET LES PASSERELLES HOMMAGE AUX POETES |
Théophile Gautier "Odelettes" - 1856 Théodore de Banville I Théophile Gautier ! poëte Au regard limpide et vermeil, Dont l’œuvre fut un hymne en fête A la vie ivre de soleil ! A l’heure où la Mort en délire, Avec un regret insensé, Admire encor ton fier sourire Qu’elle éteint de son doigt glacé, Pardonne-moi, maître des charmes, Dont l’esprit s’enfuit vers le ciel, Si tu vois mes yeux pleins de larmes Devant toi, songeur immortel. Pardonne-moi si je te pleure, Car, ô maître, c’est l’humble ami Qui prie et sanglote à cette heure Auprès du lutteur endormi. Mais ma propre fierté s’irrite De s’attrister en ces douleurs, Et je sais qu’un tel deuil mérite Bien autre chose que des pleurs ! Car, ô pur génie, âme immense Qu’emplissait la sainte beauté, A cet instant pour toi commence Une double immortalité. Et tandis que de ta poitrine, Déployant son aile de feu, Ce qui fut la flamme divine S’envole et retourne vers Dieu, Fier meurtrier de la nuit noire, Vainqueur du silence étouffant, Ton génie entre dans la gloire, Libre, superbe et triomphant. Cependant que tes filles pleurent Et que tes fils sont pleins d’effroi, Mornes comme ceux qui demeurent Après des hommes tels que toi ; Cependant qu’en ce triste bagne Songent leurs vivants désespoirs, Et cependant que ta compagne Pleure sous ses longs voiles noirs ; Artiste, créateur sans tache, Sage et patient ouvrier, Souriante, la Muse attache Sur ton front le divin laurier. Sereine et fixant sur ton livre Son regard clair comme un flambeau, A jamais elle te délivre De l’épouvante du tombeau. Et l’Envie aux dents de couleuvre A beau se plaindre et crier : Non ! Elle fait briller sur ton œuvre Luxuriante, et sur ton nom, L’éclat lumineux et féerique, Le flamboiement mélodieux Qui sied au poëte lyrique Dans son triomphe radieux ; Et s’éveillant sous son doigt rose, Chanteur illustre et vénéré, Les clartés de l’apothéose Ruissellent sur ton front sacré ! II Déjà la France, à qui nous sommes, Douce mère frappée au flanc, Dans le troupeau de ses grands hommes Choisit ta place au premier rang ; Et, te célébrant dans ses veilles, Elle te bénit, fils pieux, D’avoir égalé les merveilles Qu’enfantèrent nos grands aïeux. O fils d’Orphée et de Pindare, Instruit par eux dans l’art des vers, Qu’elle est belle, en ce siècle avare, Ton œuvre aux cent aspects divers ! Ta jeune maîtresse la Rime, Qui fait toujours ce que tu veux, Te donne, prodigue sublime, Les diamants de ses cheveux ; Elle t’offre ces pierreries Qui semblent transir et brûler, Et l’on voit leurs flammes fleuries Dans ton poëme étinceler. Statuaire, que le vil piège De la chair appelait en vain, Tu sais du marbre au flanc de neige Faire jaillir un corps divin, Et ravir à la nuit fatale Son frissonnement enchanté, Et le vêtir, forme idéale, D’une invincible chasteté. Et la Nature, ô coloriste ! Veut que tu prennes ses trésors : Diamant, rubis, améthyste, Et les bleus saphirs et les ors ; Et, par ton génie animées, Tu fais, pour enchanter nos yeux, Avec ces matières charmées Un mélange mystérieux ! Russie, Égypte, Espagne, Grèce, Où les grands Dieux vivent encor, On voit, si tu veux qu’il paraisse, Tout le prodigieux décor : Vertes forêts, plaines moroses, Mers d’azur aux charmants reflets, Pics géants de neige, ciels roses, Montagnes aux flancs violets ; Et les grandes architectures, Où tous les arts sont mariés, Développent leurs lignes pures Et leurs détails coloriés, Temple à la blanche colonnade, Burg dont l’herbe envahit la cour, Cathédrale, palais de jade, Alhambra découpant le jour ! En ce décor passent et vivent Des rois, des guerriers, des amants, Les justes, et ceux que poursuivent Les ailes des noirs Châtiments ; Toute la folle engeance humaine Dont le Destin fait son jouet, Tous les mortels tremblants que mène Amour avec son cruel fouet ; Et surtout, mille, mille femmes Jetant sur leurs mates pâleurs Des ors divins aux belles gammes Ou de vivants colliers de fleurs ; Vierges priant dans leurs alcôves, Et folles aux regards surpris, Dénouant leurs crinières fauves Sur les rouges damas fleuris ; Les unes pleurant comme un cygne, D’autres avec l’air irrité, Mais toutes laissant voir le signe De l’irrésistible Beauté. III La Beauté ! c’est le seul poëme Que tu chantas sous le ciel bleu, Grand porteur de lyre, et toi-même Tu fus sage et beau comme un dieu. Sans que rien jamais la courrouce, Un regard calme et contempteur Brillait dans ta prunelle douce ; On eût dit qu’un divin sculpteur, Dans son jardin planté de vignes, Épris du beau comme du bien, Avait pétri les nobles lignes De ton visage olympien. Ta barbe légère et farouche Tombait, soyeuse, en s’effilant, Pour encadrer ta belle bouche Aussi rouge qu’un fruit sanglant, Et comme au Zeus de l’ode ancienne Qui songe aux éternels devoirs, Ta chevelure ambroisienne Ruisselait en brillants flots noirs. Sur ton large visage austère Quelle douceur, mais quel mépris Pour tous les hochets de la terre Auxquels on attache du prix ! Rhéteurs aux démarches hautaines Bâtissant un néant profond, Et se penchant vers les fontaines Pour remplir des urnes sans fond ; Orateurs dévorés de fièvre, Dans le carrefour éhonté Baisant de leur ardente lèvre L’ignoble Popularité ; Amants de l’or, pourris de plaies, Monnoyant l’angoisse et les pleurs, Blêmes, et comptant des monnaies Dans la nuit, comme les voleurs ; Ineptes don Juans de romance, Sous ses haillons d’or, en plein jour, Adorant tous, en leur démence, Le spectre fardé de l’Amour ; Maîtres des Odes éclatantes, Se résignant au rire amer Pour des foules plus inconstantes Que le flot fuyant de la mer ; O pasteur des rhythmes sans nombre, Comme tu regardais ces fous Acharnés à l’ombre d’une ombre, Avec un air pensif et doux, Toi qui t’asseyais sous un arbre En plaignant le cerf aux abois ! Toi, l’amant des Nymphes de marbre Et de la source dans les bois, Qui donnais la richesse vile Et tout leur or matériel Pour une âpre strophe d’Eschyle, S’envolant terrible en plein ciel ! Toi qui, dans ton cœur invincible, N’eus pas d’autre rêve étoilé Que de lire la grande bible Et de voir dans le ciel fermé ! Toi qui, dans ta candeur sincère, Souriais, ignorant du mal, Et qui remplissais ton grand verre Avec le vin de l’Idéal ! IV Reprends-les, ce divin sourire Et ce verre où ta lèvre but, Car voici l’heure de te dire, Maître, non : Adieu, mais : Salut ! Oui, sois le bienvenu, poëte, Parmi ceux que nomme les siens La Muse qui fut leur conquête ; Car tu ne t’en vas pas, tu viens ! Fier de ton renom qui te vante, Tu viens vers la postérité, Ayant sur ta lèvre vivante L’inéluctable vérité, Et dans ta main mystérieuse Apportant, vainqueur du tombeau, Toute une œuvre victorieuse Où resplendit l’éclat du Beau ! Au festin de la poésie, Où chacun, levant son bras nu, Boit le nectar et l’ambroisie, O chanteur, sois le bienvenu ! Toi qui, pareil à Véronèse, Parmi les satins et les fleurs, Fais resplendir en ta fournaise Les femmes aux belles couleurs ! Toi qui, dans un temps qui végète, Nous fais songer aux chœurs dansants Qui bondissaient sur le Taygète, Avec tes vers éblouissants ! Toi qui, savant aux hardiesses, Peux, comme Myron et Scyllis, Tailler l’image des Déesses Dans le marbre pareil au lys ! Toi qui sus donner à la prose Le prisme durable et charmant Que traverse un éclair de rose, Et le poli du diamant ! Toi qui répands de ta main pleine Toute une riche floraison ! Dernier fils du chantre d’Hélène ! Ame, sagesse, esprit, raison, Amant du beau, du vrai, du juste, Règne parmi les Dieux de l’art, Et viens prendre ta place auguste Entre Rabelais et Ronsard ! Liens vers les textes de cet auteur |
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
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