COUPS DE COEUR POETIQUES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Display 24 boosters Star Wars Unlimited – ...
Voir le deal

Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz

Aller en bas

Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz Empty Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz

Message  Gil Def Ven 1 Fév - 9:16

Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz 721364  Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz 721364  Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz 721364


LA MORT ET LE DEUIL

Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz 0_somm35





Au manoir de Keranglaz
"Poèmes votifs" - 1927
Anatole Le Braz


Au manoir de Keranglaz - Anatole Le Braz Au_man10


Elle est couchée en son lit clos ;
Elle dort, elle dort, Tryphine !
Aussi blonds que la paille fine,
Ses cheveux coulent à longs flots
Sur la nacre de sa poitrine.

Et la cuisine vaste est pleine de sanglots !...

***

On a pour la veillée invité les fileuses ;
Par les sentiers prochains on les entend venir.
La vieille Anna Congard est parmi les « veilleuses ».

Lévénez à la mort ne cesse de hennir.

Leur linge sur l'épaule, entrent les lavandières.
Ces prêtresses des eaux, des sources nourricières,
Sur le front de la morte étendant leurs battoirs,
L'aspergent en chantant du pleur des étangs noirs.

Et sont près du foyer les vieilles « pèlerines ».
Keranglaz, de tout temps, leur fut hospitalier.
Leurs écuelles, toujours, à côté des terrines,
Eurent place dans l'âtre ainsi qu'au vaisselier.

Comme elles cheminaient ce soir par la contrée,
Ayant flairé la mort en passant près du seuil,
Toutes de Keranglaz ont envahi l'entrée,
Leur coiffe rabattue en signe de grand deuil.

A la coutume antique obstinément fidèles,
Elles ont prosterné sur l'âtre leur vieux corps,
Puis, d'un ton primitif et sauvage, une d'elles
En l'honneur de la morte a dit le chant des morts.

" Ne pleure pas, ô toi qu'on pleure ;
" La vie est si douce où tu vas ;
" Elle est si mauvaise ici-bas,
" Que la plus courte est la meilleure !...
" Toi qu'on pleure, ne pleure pas !

" Morte en tes jeunes destinées,
" Tu n'auras pas vu les autans
" Faire bruire tes années
" Ainsi que des feuilles fanées
" Dans les sentiers de ton printemps !

" Fille, tu n'as pas été femme !
" Ton coeur est pur comme le feu.
" Tu n'as qu'à voler jusqu'à Dieu
" Sur l'aile blanche de ton âme.
" Péchés d'enfant pèsent si peu !

***

Tryphine a dans ses doigts un chapelet d'ébène,
Sous l'ombre de ses cils qui semble s'allonger,
Son regard clos à peine
Le long des rideaux blancs suit le songe léger
Que, vivants, ses yeux clairs se plurent à songer.

Et le vieux Keranglaz, n'ayant plus d'héritière,
Sentant crouler sur lui sa maison tout entière,
Serre sa tête dure entre ses poings velus
Et pleure sur les siens qui ne verdiront plus.

***

La vieille Anna Congard, parmi les vieilles femmes,
S'est mise à chevroter la " prière des âmes ";
Et les répons plaintifs fredonnés vaguement
Font à la douce morte un plaintif bercement.
Et, dans le ciel, des voix s'éveillent par centaines ;
Et l'on entend frémir des musiques lointaines ;

Et tout l'espace vibre, et c'est signe, dit-on,
Qu'on ouvre à deux battants le paradis breton...
Le firmament en fleur est comme un pommier rose,
Et l'aube s'est levée, et la veillée est close...





Autres textes du même auteur

Au lavoir de Keranglaz
Barque échouée
Couchant d'août
L'éternelle histoire
La chanson du vent de mer
Nocturne
Octobre
Sanctuaire en ruines









Dernière édition par Gil Def le Ven 25 Juin - 7:31, édité 16 fois

_________________
La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
Gil Def
Gil Def
Admin

Masculin
Nombre de messages : 6671
Age : 75
Localisation : Nord de la France
Date d'inscription : 16/11/2007

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum