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Tristesse de l'amour "Les Forces éternelles" - 1920 Anna de Noailles
Les femmes, mon amour, craignent la rêverie. Tu ne peux pas savoir de quel poids la langueur Les accable. Le soir, quand la calme prairie Émet des parfums frais comme un sorbet d’odeur,
Quand le vent noir circule, invisible danseuse, Et semble vouloir plaire aux astres attentifs, Quand, au bas du coteau, un train prompt et furtif Lance comme un torrent sa force aventureuse,
Quand sur la ville calme, et que l’ombre abolit, Tout à coup le suave et copieux silence Noblement se construit, navigue et se balance, Aérien vaisseau sur l’éther amolli,
Les femmes sont sans joie, et se désintéressent Du sublime univers, plein de vœux inconnus ; L’esprit bouleversé, ces ardentes prêtresses S’épouvantent du rêve en leur cœur contenu.
— Amants, ayez pitié de ces bêtes divines, Aimez ce corps qui meurt, ce corps qui va mourir. Ces fronts contemplatifs que la beauté chagrine, Que rien, hormis l’amour, ne pourrait secourir !
Les femmes ne sont pas romanesques, l’espace Qui séduit leurs regards et les vient envahir, Ne leur offre jamais aucun but qui dépasse L’éblouissement grave et constant du désir !
Ne leur demandez pas d’être amplement sincères. Les mots ne servent pas leur vaste vérité, Ces rêveuses, tandis que vos bras les enserrent, Poursuivent le divin parmi la volupté.
Ne leur demandez pas d’être humblement fidèles, Leur cœur puissant a droit à d’infinis détours ; Leur détresse ressemble à ces cris d’hirondelles Qui jettent sur le soir tant d’adieux et d’amour !
Lorsque leur turbulent et confiant désordre S’abat entre vos mains, dans leurs instants sacrés. C’est l’immense univers qui leur donne des ordres, Et vous n’êtes jamais qu’un répit préféré.
Rien d’autre que l’amour n’occupe ces furies, Leur douceur, leur bonté n’est qu’un humble présent Que leur âme attentive, anxieuse et meurtrie, Accorde à vos désirs, moins que les leurs puissants !
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