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Joviale odeur de la neige "Les Forces éternelles" - 1920 Anna de Noailles
Joviale odeur de la neige Plus bleue que blanche ! et le silence De tout ce sucre glacial, Qui papillotte, et qui protège De son calme repos loyal Le sol où le printemps commence ! — Printemps caché de Février, Vous me chauffez, vous me riez De dessous cette nappe claire De froide farine stellaire, En ce beau matin d’azur gai ! Le cœur ébloui, intrigué, J’écoute, sybille terrestre, Printemps ! vos souterrains orchestres ! — Ô forces de la profondeur, Qui, à coups de petites fleurs,
De fines et frêles papules, De filaments, de vertes bulles, De petits jets sucrés, laiteux, Qui tous se concertent entre eux, En deux mois d’efforts allez faire S’ouvrir d’amour toute la terre !
Une biche passe à pas lents ; Son souffle est sur son front dolent Comme une vapeur de théière.
— Ô molle neige cachottière, Tous vos rires de corail blanc Annoncent les jeux pétulants Des belles ruses printanières ! Sur vos édredons cristallins Cette nuit sont venus s’ébattre, — Sorciers fourchus et clandestins — Des pieds de chevreuils et de martres.
Ô neige, l’hiver est passé ! Ton grand silence, condensé En mousseuse verroterie, Prépare la jeune prairie : Prairie où nous verrons éclos, Sirupeux et battant de l’aile,
Ces écarlates hirondelles : Les frémissants coquelicots !
— Neige, brillant sorbet d’étoiles, Sur ta gouache épaisse et sans plis Les pas des oiseaux ont molli Et tracent de légers pétales. Un roitelet frileux, touffu. Tassé sur la branche, répète Son cri aigrelet, vif, pointu Comme un grain d’épine-vinette. Ciel et terre sont scintillants : Je sens que le jeune Orient Frémit sous la neige laquée, Comme un groupe d’enfants, riant Au fond d’une blanche mosquée !…
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