Aimer Paris - Théodore de Banville
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Aimer Paris - Théodore de Banville
AINSI VA LA VIE SCENES DE LA VIE |
Aimer Paris "Dans la fournaise" - 1892 Théodore de Banville Artiste, désormais tu veux peindre la Vie Moderne, frémissante, avide, inassouvie, Belle de douleur calme et de sévérité; Car ton esprit sincère a soif de vérité. Vois, comme une forêt d’arbres, la ville immense Murmure sous l’orage et le vent en démence; Ses entassements noirs de toits et de maisons Ont le charme effrayant des larges frondaisons. Aime ses bruits, ses voix, ses rires, son tumulte, Ses monuments qu’en vain le Temps railleur insulte, Ses marchés, ses jardins; aime ses pauvres cieux Toujours mornes, d’un gris terne et délicieux. Surtout, n’imite pas Hamlet; sans épigramme Et d’un coeur chaleureux, aime l’Homme et la Femme. La Femme surtout! Suis de l’oeil ces bataillons De gamines qui vont, blanches sous les haillons, Et qui, montrant leurs dents, croquent de jaunes pommes De terre frites, sous l’oeil allumé des hommes! Peins la svelte maigreur aux méplats séduisants Et la gracilité des filles de seize ans; Va, ne dédaigne rien, ni la bourgeoise obèse Ni la duchesse au front d’or que le zéphyr baise, Ni la pierreuse, proie offerte au noir filou, Qui peigne ses cheveux lourds avec un vieux clou, Ni la bonne admirant, parmi la transparence Des bassins, le reflet d’un pantalon garance, Ni la vieille qui, pour implorer un secours, Se coiffe d’un madras et chante dans les cours, Ni ces filles de joie aux tragiques allures Offrant au vent furtif leurs roses chevelures, Et poursuivant, les soirs, leur patient calcul Devant les Nouveautés et le café Méhul, Catins dont les satins, sans jamais faire halte, Comme des serpents noirs se traînent sur l’asphalte! Regarde l’Homme aussi! Peins tous les noirs troupeaux Des hommes, sénateurs on bien marchands de peaux De lapins; droit, bossu, formidable ou bancroche, Vois l’Homme, vois-le bien, de d’Arthez à Gavroche! L’homme actuel, sublime à la fois et mesquin, Est vêtu d’un complet, comme un Américain; Mais tel qu’il est, ce pitre, épris de Navarette, Qui dans ses doigts pâlis roule une cigarette, Lit dans les astres noirs d’un oeil terrible et sûr, Voleur divin, saisit Isis en plein azur, Pose un baiser brutal sur ses yeux pleins d’étoiles, D’un ongle furieux déchire tous ses voiles, Comme un fer rouge met la lèvre sur son col Et la contemple, et pâle encor de son viol, A ses pieds gémissant une plainte ingénue Regarde la Nature échevelée et nue. Oui, l’Homme, vois-le bien, tire parti de tout! Il est beau, l’orateur farouche, qui debout, Du Progrès fugitif embrassant la chimère, Parle et courbe les fronts sous sa parole amère; Mais le vieux chiffonnier, qui sous le ciel changeant Montre son crochet noir et sa barbe d’argent, Près de la verte Seine a des beautés de Fleuve. Et c’est un beau modèle, avec sa blouse neuve, Que l’Alphonse blêmi, fashionable et vainqueur, Dont la cravate rose et les accroche-coeur Font fanatisme, et qui, doux jeune homme de joie, Tortille crânement sa casquette de soie. Oh! ne dédaigne rien dans ta ville! Chéris Les parcs éblouissants, ces jardins de Paris Où pour nous réjouir, en leurs apothéoses Brillent les coeurs sanglants et fulgurants des roses; Mais, artiste, aime aussi les pauvres talus des Fortifications, où sous le triste dais Du ciel gris, l’herbe jaune et sèche qui se pèle Semble un front dévoré par un érésipèle; Car c’est là que, toujours las de voir empirer Son destin, l’ouvrier captif vient respirer Et que la jeune fille heureuse, en mince robe, Laissant errer son clair sourire, où se dérobe Quelque rêve secret de ménage et d’amour, Avec ses yeux brûlants vient boire un peu de jour! Liens vers les textes de cet auteur |
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
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