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Eloge de la rose "Les Eblouissements" - 1907 Anna de Noailles
Quelle tranquillité dans un jardin, le temps Est là qui se repose ; Et des oiseaux sont là, insouciants, contents, Amoureux de la rose,
De la rose charmante, à l’ombre du rosier Si mollement ouverte, Et qui semble la bouche au souffle extasié De cette saison verte.
Il fait à peine jour, toute la maison dort Sous son aile ardoisée, Quand les fleurs du parterre ouvrant leur coupe d’or Déjeunent de rosée.
De blanches, jaunes fleurs ! c’est un peuple divin Parqué dans l’herbe calme, Le mol acacia fait sur le gravier fin Un bercement de palme.
Les fleurs du marronnier, cônes de parfum blanc, Vont lentement descendre Pour entourer les pieds du Printemps indolent, D’aromatique cendre.
Ô douceur des jardins ! beaux jardins dont le cœur Avec l’infini cause, Régnez sur l’univers par la force et l’odeur De la limpide rose,
De la rose, dieu vif, petit Éros joufflu Armé de courtes flèches, À qui les papillons font un manteau velu Quand les nuits sont plus fraîches.
Rose de laque rose, ô vase balancé Où bout un parfum tendre, Où le piquant frelon doucement convulsé Sent son âme s’épandre,
Rose, fête divine au reflet argentin Sur la pelouse éclose, Orchestre de la nuit, concert dans le jardin, Feu de Bengale rose !
Rose dont la langueur s’élève, flotte ou pend, Tunique insaisissable, Que ne peuvent presser les lèvres du dieu Pan À genoux sur le sable,
Rose qui, dans le clair et naïf paradis De Saint-François-d’Assise, Seriez, sous le soleil tout ouvert de midi, Près de sa droite assise !
Rose des soirs d’avril, rose des nuits de mai, Roses de toute sorte, Rêveuses sans repos qui ne dormez jamais Tant votre odeur est forte,
Fleur des parcs écossais, des blancs cloîtres latins, Des luisantes Açores, Vous qui fûtes créée avant Ève, au matin De la plus jeune aurore,
Rose pareille au ciel, au bonheur, au lac pur, À toute douce chose, Rose faite de miel, et faite d’un azur Qui est rose, ma rose !…
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