Le sacre de Paris - Charles Marie Leconte de Lisle
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Le sacre de Paris - Charles Marie Leconte de Lisle
HISTOIRE ET POLITIQUE LA GUERRE DE 1870 |
Le sacre de Paris "Poèmes tragiques" - 1884 Charles Marie Leconte de Lisle I Ô Paris ! C’est la cent deuxième nuit du Siège, Une des nuits du grand Hiver. Des murs à l’horizon l’écume de la neige S’enfle et roule comme une mer. Mâts sinistres dressés hors de ce flot livide, Par endroits, du creux des vallons, Quelques grêles clochers, tout noirs sur le ciel vide, S’enlèvent, rigides et longs. Là-bas, palais anciens semblables à des tombes, Bois, villages, jardins, châteaux, Effondrés, écrasés sous l’averse des bombes, Fument au faîte des coteaux. Dans l’étroite tranchée, entre les parois froides, Le givre étreint de ses plis blancs Œil inerte, le front blême, les membres roides, La chair dure des morts sanglants. Les balles du Barbare ont troué ces poitrines Et rompu ces cœurs généreux. La rage du combat gonfle encor leurs narines, Ils dorment là serrés entre eux. L’âpre vent qui franchit la colline et la plaine Vient, chargé d’exécrations, De suprêmes fureurs, de vengeance et de haine, Heurter les sombres bastions. Il flagelle les lourds canons, meute géante Qui veille allongée aux affûts, Et souffle par instants dans leur gueule béante Qu’il emplit d’un râle confus. Il gronde sur l’amas des toits, neigeux décombre, Sépulcre immense et déjà clos, Mais d’où montent encor, lamentables, sans nombre, Des murmures faits de sanglots ; Où l’enfant glacé meurt aux bras des pâles mères, Où, près de son foyer sans pain, Le père, plein d’horreur et de larmes amères, Étreint une arme dans sa main. II Ville auguste, cerveau du monde, orgueil de l’homme, Ruche immortelle des esprits, Phare allumé dans l’ombre où sont Athène et Rome, Astre des nations, Paris ! Ô nef inébranlable aux flots comme aux rafales, Qui, sous le ciel noir ou clément, Joyeuse, et déployant tes voiles triomphales, Voguais victorieusement ! La foudre dans les yeux et brandissant la pique, Guerrière au visage irrité, Qui fis jaillir des plis de ta toge civique La victoire et la liberté ! Toi qui courais, pieds nus, irrésistible, agile, Par le vieux monde rajeuni ! Qui, secouant les rois sur leur tréteau fragile, Chantais, ivre de l’infini ! Nourrice des grands morts et des vivants célèbres, Vénérable aux siècles jaloux, Est-ce toi qui gémis ainsi dans les ténèbres Et la face sur les genoux ? Vois ! La horde au poil fauve assiège tes murailles ! Vil troupeau de sang altéré, De la sainte patrie ils mangent les entrailles, Ils bavent sur le sol sacré ! Tous les loups d’outre-Rhin ont mêlé leurs espèces : Vandale, Germain et Teuton, Ils sont tous là, hurlant de leurs gueules épaisses Sous la lanière et le bâton. Ils brûlent la forêt, rasent la citadelle, Changent les villes en charnier ; Et l’essaim des corbeaux retourne à tire d’aile, Pour être venu le dernier. III Ô Paris, qu’attends-tu ? La famine ou la honte ? Furieuse et cheveux épars, Sous l’aiguillon du sang qui dans ton cœur remonte Va ! Bondis hors de tes remparts ! Enfonce cette tourbe horrible où tu te rues, Frappe, redouble, saigne, mords ! Vide sur eux palais, maisons, temples et rues : Que les mourants vengent les morts ! Non, non ! Tu ne dois pas tomber, Ville sacrée, Comme une victime à l’autel ; Non, non, non ! Tu ne peux finir, désespérée, Que par un combat immortel. Sur le noir escalier des bastions qu’éventre Le choc rugissant des boulets, Lutte ! Et rugis aussi, lionne au fond de l’antre, Dans la masure et le palais. Dans le carrefour plein de cris et de fumée, Sur le toit, l’Arc et le clocher, Allume pour mourir l’auréole enflammée De l’inoubliable bûcher. Consume tes erreurs, tes fautes, tes ivresses, À jamais, dans ce feu si beau, Pour qu’immortellement, Paris, tu te redresses, Impérissable, du tombeau ; Pour que l’homme futur, ébloui dans ses veilles Par ton sublime souvenir, Raconte à d’autres cieux tes antiques merveilles Que rien ne pourra plus ternir, Et, saluant ton nom, adorant ton génie, Quand il faudra rompre des fers, Offre ta libre gloire et ta grande agonie Comme un exemple à l’univers. Autres textes du même auteur A George Sand A un poète mort A Victor Hugo Aux Modernes Aux morts Effet de lune L'albatros L'incantation du loup La chasse de l'aigle La forêt vierge La panthère noire Le coeur de Hialmar Le désert Le jaguar Le Nazaréen Le soir d'une bataille Le Sommeil du vautour Les éléphants Les roses d'Ispahan Les taureaux Un coucher de soleil |
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