COUPS DE COEUR POETIQUES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -23%
(Adhérents Fnac) Kit de démarrage 3 ...
Voir le deal
99.99 €

Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle

Aller en bas

Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle Empty Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle

Message  Gil Def Mer 15 Nov - 16:11

Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle 989837  Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle 989837  Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle 989837


L'HOMME ET LA NATURE
LE MONDE ANIMAL

Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle 0_somm60





Le jaguar
"Poèmes barbares" - 1862
Charles Marie Leconte de Lisle


Le jaguar - Charles Marie Leconte de Lisle Le_jag10


Sous le rideau lointain des escarpements sombres
La lumière, par flots écumeux, semble choir ;
Et les mornes pampas où s’allongent les ombres
Frémissent vaguement à la fraîcheur du soir.

Des marais hérissés d’herbes hautes et rudes,
Des sables, des massifs d’arbres, des rochers nus,
Montent, roulent, épars, du fond des solitudes,
De sinistres soupirs au soleil inconnus.

La lune, qui s’allume entre des vapeurs blanches,
Sur la vase d’un fleuve aux sourds bouillonnements,
Froide et dure, à travers l’épais réseau des branches,
Fait reluire le dos rugueux des caïmans.

Les uns, le long du bord traînant leurs cuisses torses,
Pleins de faim, font claquer leurs mâchoires de fer ;
D’autres, tels que des troncs vêtus d’âpres écorces,
Gisent, entre-bâillant la gueule aux courants d’air.

Dans l’acajou fourchu, lové comme un reptile,
C’est l’heure où, l’oeil mi-clos et le mufle en avant,
Le chasseur au beau poil flaire une odeur subtile,
Un parfum de chair vive égaré dans le vent.

Ramassé sur ses reins musculeux, il dispose
Ses ongles et ses dents pour son oeuvre de mort ;
Il se lisse la barbe avec sa langue rose ;
Il laboure l’écorce et l’arrache et la mord.

Tordant sa souple queue en spirale, il en fouette
Le tronc de l’acajou d’un brusque enroulement ;
Puis sur sa patte roide il allonge la tête,
Et, comme pour dormir, il râle doucement.

Mais voici qu’il se tait, et, tel qu’un bloc de pierre,
Immobile, s’affaisse au milieu des rameaux :
Un grand boeuf des pampas entre dans la clairière,
Corne haute et deux jets de fumée aux naseaux.

Celui-ci fait trois pas. La peur le cloue en place :
Au sommet d’un tronc noir qu’il effleure en passant,
Plantés droit dans sa chair où court un froid de glace,
Flambent deux yeux zébrés d’or, d’agate et de sang.

Stupide, vacillant sur ses jambes inertes,
Il pousse contre terre un mugissement fou ;
Et le jaguar, du creux des branches entr’ouvertes,
Se détend comme un arc et le saisit au cou.

Le boeuf cède, en trouant la terre de ses cornes,
Sous le choc imprévu qui le force à plier ;
Mais bientôt, furieux, par les plaines sans bornes
Il emporte au hasard son fauve cavalier.

Sur le sable mouvant qui s’amoncelle en dune,
De marais, de rochers, de buissons entravé,
Ils passent, aux lueurs blafardes de la lune,
L’un ivre, aveugle, en sang, l’autre à sa chair rivé.

Ils plongent au plus noir de l’immobile espace,
Et l’horizon recule et s’élargit toujours ;
Et, d’instants en instants, leur rumeur qui s’efface
Dans la nuit et la mort enfonce ses bruits sourds.





Autres textes du même auteur

A George Sand
A un poète mort
A Victor Hugo
Aux Modernes
Aux morts
Effet de lune
L'albatros
L'incantation du loup
La chasse de l'aigle
La forêt vierge
La panthère noire
Le coeur de Hialmar
Le désert
Le Nazaréen
Le sacre de Paris
Le soir d'une bataille
Le Sommeil du vautour
Les éléphants
Les roses d'Ispahan
Les taureaux
Un coucher de soleil








_________________
La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
Gil Def
Gil Def
Admin

Masculin
Nombre de messages : 6699
Age : 75
Localisation : Nord de la France
Date d'inscription : 16/11/2007

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum