|
Le marais "Premières poésies" - 1830 Théophile Gautier
C’est un marais dont l’eau dormante Croupit, couverte d’une mante Par les nénuphars et les joncs : Chaque bruit sous leurs nappes glauques Fait au chœur des grenouilles rauques Exécuter mille plongeons ;
La bécassine noire et grise Y vole quand souffle la bise De novembre aux matins glacés ; Souvent, du haut des sombres nues, Pluviers, vanneaux, courlis et grues Y tombent, d’un long vol lassés.
Sous les lentilles d’eau qui rampent, Les canards sauvages y trempent Leurs cous de saphir glacés d’or ; La sarcelle a l’aube s’y baigne, Et, quand le crépuscule règne, S’y pose entre deux joncs, et dort.
La cigogne dont le bec claque, L’œil tourné vers le ciel opaque, Attend là l’instant du départ, Et le héron aux jambes grêles, Lustrant les plumes de ses ailes, Y traîne sa vie à l’écart.
Ami, quand la brume d’automne Étend son voile monotone Sur le front obscurci des cieux, Quand à la ville tout sommeille Et qu’à peine le jour s’éveille À l’horizon silencieux,
Toi dont le plomb à l’hirondelle Toujours porte une mort fidèle, Toi qui jamais à trente pas N’as manqué le lièvre rapide, Ami, toi, chasseur intrépide, Qu’un long chemin n’arrête pas,
Avec Rasko, ton chien, qui saute À ta suite dans l’herbe haute, Avec ton bon fusil bronzé, Ta blouse et tout ton équipage, Viens t’y cacher près du rivage, Derrière un tronc d’arbre brisé.
Ta chasse sera meurtrière ; Aux mailles de ta carnassière Bien des pieds d’oiseaux passeront, Et tu reviendras de bonne heure, Avant le soir, en ta demeure, La joie au cœur, l’orgueil au front.
|
|