Le tombeau d'Arthur Rimbaud - Michel Butor
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Le tombeau d'Arthur Rimbaud - Michel Butor
LES PHARES ET LES PASSERELLES HOMMAGE AUX POETES |
Le tombeau d'Arthur Rimbaud "Seize lustres" - 2006 Michel Butor Qui suis-je moi qui suis sorti de la tombe où je t’attendais moins une jambe que je n’ai pas réussi à remplacer avant de repartir là-bas comme je l’aurais tant voulu comme j’attendais dans ma chambre mère un baiser qui ne venait que rarement et si furtif que mes larmes se remplissaient d’insultes que je ravalais dans l’ambiguïté de mes flammes D’où suis-je venu trébuchant car c’était un tout autre enfer que celui d’où j’ai réchappé que j’avais cherché provoqué où ai-je trouvé la béquille que j’ai posée contre un pilier quant à la peau blanche grisâtre c’est la couleur de l’entre-temps parcouru d’illuminations qui sont les souvenirs des rêves que j’étouffais dans mes navettes entre l’eau l’Afrique et l’Asie Où suis-je que veut dire ici et qui était cette personne en grande toilette disant « viens donc près de moi tu seras beaucoup mieux qu’ici » quel ici celui de la tombe ou celui de l’église de Charleville où j’aurais voulu te parler mère mais n’ai pu que répondre en l’appelant « ma tante » quelle tante je ne l’ai pas connue serait-ce une sœur de mon père Où voulait-elle m’emmener transformée en ange gardien dans quelle saison quel château dans quel Aden de l’autre monde dans quel Harrar transfiguré « je vous remercie je me trouve très bien ici et je vous prie de m’y laisser » où trouverais-je la femme et l’enfant désirés que j’aurais voulu vous montrer pour voir éclore ce sourire que vous m’avez tant refusé Où vais-je maintenant dans quel tombeau différent de celui que vous creusez pour reposer entre les os entremêlés de votre père et Vitalie à qui je montrais les musées de Londres quand tous les espoirs nous étaient encore permis et les miens que vous laisserez dans le cercueil bien conservé avec la belle croix dorée qui n’a pas empêché ma fugue La pluie tombe sur Charleville des lycées vont porter mon nom on fêtera l’anniversaire de ma naissance et de ma mort de savants universitaires vont me traiter de tous les noms sans doute il s’agit de quelqu’un que j’aurais voulu devenir mais qui s’est dérobé sous moi comme une jambe que l’on coupe et qu’on ne peut pas remplacer je me trouve très bien ici Le vent siffle sur les mosquées la voile claque sur les vagues les porteurs me secouent toujours qui parle ici qui se faufile dans les ossements de ma vie usurpateur d’identité voleur du feu de mon bûcher fantôme d’un ancien fantôme je cherche l’autre que je suis déchiqueté dans mes errances mère notre tombe se creuse en l’engloutissement d’un monde Liens vers les textes de cet auteur |
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La poésie, c'est les paroles éparses du réel (Octavio Paz)
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