Lettre au poète Léon Damas - René Depestre
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Lettre au poète Léon Damas - René Depestre
LES PHARES ET LES PASSERELLES HOMMAGE AUX POETES |
Lettre au poète Léon Damas "Encore une mer à traverser" - 2005 René Depestre Récitante : Quiza Ouyed 1 Léon Gontran Damas je t’écris de la même façon qu’on naît dans une maison triste et basse sous des amandiers de Guyane. Je t’écris au temps du corossol. Je t’écris en équilibre entre la détresse et l’espoir des nègres. Sur l’écorce d’un papayer je t’écris dans la sève qui meurt et repousse en soeur du mimosa de mon jardin. 2 J’écris au mauvais garçon du dimanche qui riait aux vêpres des Blancs, j’écris à son humour qui n’a jamais franchi la ligne, j’écris à ses poèmes aux yeux bridés, j’écris à la grand-messe des matins de son enfance : au nom du Père du Fils et du Saint Esprit et au nom du français de France changé en île à l’eau salée de la souffrance. 3 Je cours le coeur fou après tes mots de tous les jours, tes mots simples que la vie du siècle a brûlés ; j’écris à ton jazz toujours au futur, je chante l’aigle du grand poète qui plane en homo spiritual au matin de sa foi, j’écris à l’homme libre qui a vaincu les tisons de fer rouge : le fouet, le piment sur les plaies, le crachat, l’insulte totale des temps de la plantation ! 4 Je t’écris debout au grand soleil de ta mort, bel été ouvert dans l’ironie des nègres, main brûlante de l’Afrique bien serrée sur la peau des mots du français-français. Les routes du bout de ma vie en riant font le tour de ton orchestre noir : me voici réveillé à ton lyrisme brutal, réveillé dans les pieds nus que tu mettais toujours si bien dans le plat qu’il fallait ! 5 Je t’écris porté par les crapauds-boeufs, la nuée de moustiques et de lucioles qui voyagent la nuit dans tes masques : te voici qui roule de gros yeux guyanais de tendresse et de poésie, loin des jours où l’on collait à notre vie des ancêtres-gaulois-aux-yeux-bleus-de-rage ! Je t’écris en plein été du blues, les deux poings fermés à vie sur l’alphabet de ma révolte ! 6 Je t’écris la bonne nouvelle : tu es rentré à cheval dans ta fantaisie, de la même façon qu’on sort au petit jour du ventre africain de sa mère ; tu es de nouveau le seul roi de tes racines, à dix ans de ta mort ta poésie d’électron libre a toujours les mains au collet de tout ce qui enténèbre la vie et la musique des Noirs ! |
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Gil Def- Admin
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