La pluie - André Breton
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La pluie - André Breton
L'HOMME ET LA NATURE LES PHENOMENES NATURELS |
La pluie "Poisson soluble" - 1924 André Breton Récitant : Fernand Ledoux La pluie seule est divine, c’est pourquoi quand les orages secouent sur nous leurs grands parements, nous jettent leur bourse, nous esquissons un mouvement de révolte qui ne correspond qu’à un froissement de feuilles dans une forêt. Les grands seigneurs au jabot de pluie, je les ai vus passer un jour à cheval et c’est moi qui les ai reçus à la Bonne Auberge. II y a la pluie jaune, dont les gouttes, larges comme nos chevelures, descendent tout droit dans le feu qu’elles éteignent, la pluie noire qui ruisselle à nos vitres avec des complaisances effrayantes, mais n’oublions pas que la pluie seule est divine. Ce jour de pluie, jour comme tant d’autres où je suis seul à garder le troupeau de mes fenêtres au bord d’un précipice sur lequel est jeté un pont de larmes, j’observe mes mains qui sont des masques sur des visages, des loups qui s’accommodent si bien de la dentelle de mes sensations. Tristes mains, vous me cachez toute la beauté peut-être, je n’aime pas votre air de conspiratrices. Je vous ferais bien couper la tête, ce n’est pas de vous que j’attends un signal ; j’attends la pluie comme une lampe élevée trois fois dans la nuit, comme une colonne de cristal qui monte et qui descend, entre les arborescences soudaines de mes désirs. Mes mains, ce sont des Vierges dans la petite niche à fond bleu du travail : que tiennent-elles ? je ne veux pas le savoir, je ne veux savoir que la pluie comme une harpe à deux heures de l’après-midi dans un salon de La Malmaison, la pluie divine, la pluie orangée aux envers de feuilles de fougère, la pluie comme des œufs entièrement transparents d’oiseaux-mouches et comme des éclats de voix rendus par le millième écho. Mes yeux ne sont pas plus expressifs que ces gouttes de pluie que j’aime recevoir à l’intérieur de ma main ; à l’intérieur de ma pensée tombe une pluie qui entraîne des étoiles comme une rivière claire charrie de l’or qui fera s’entretuer des aveugles. Entre la pluie et moi il a été passé un pacte éblouissant, et c’est en souvenir de ce pacte qu’il pleut parfois en plein soleil. La verdure c’est encore de la pluie, ô gazons, gazons. Le souterrain à l’entrée duquel se tient une pierre tombale gravée de mon nom est le souterrain où il pleut le mieux. La pluie, c’est de l’ombre sous 1’immense chapeau de paille de la jeune fille de mes rêves, dont le ruban est une rigole de pluie. Qu’elle est belle, et que sa chanson, où reviennent les noms des couvreurs célèbres, que cette chanson sait me toucher ! Qu’a-t-on su faire des diamants sinon des rivières ? La pluie grossit ces rivières, la pluie blanche dans laquelle s’habillent les femmes à l’occasion de leurs noces, et qui sent la fleur de pommier. Je n’ouvre ma porte qu’à la pluie pour me délivrer enfin et, lorsque je tends mes filets aux oiseaux du sommeil, j’espère avant tout capter les merveilleux paradis de la pluie totale, l’oiseau-pluie, comme il y a l’oiseau-lyre. Aussi ne me demandez pas si je vais bientôt pénétrer dans la conscience de l’amour comme certains le donnent à entendre, je vous répète que si vous me voyez me diriger vers un château de verre où s’apprêtent à m’accueillir des mesures de volume nickelées, c’est pour y surprendre la Pluie au bois dormant qui doit devenir mon amante. Autres textes du même auteur Union libre |
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Gil Def- Admin
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